Comment relier l’économie et l’écologie ? La CCI Paris Ile-de-France publie une étude

Dernière modification le 15/03/2024 - 11:47
Comment relier l’économie et l’écologie ? La CCI Paris Ile-de-France publie une étude

Corinne VADCAR, senior analyst à la Chambre de Commerce et d’Industrie Paris Ile-de-France, a publié cette étude en juin 2023. En voici la synthèse. 

Actuellement, les entreprises ont des démarches environnementales, liées à la technologie, à l’opérationnel, à la rentabilité et au réglementaire : peu d’entreprises modifient leur modèle d’affaires. 

Or les entreprises prennent conscience que leurs efforts actuels sont insuffisants du fait de la crise économique en cours de l’accélération des dérèglements, et de la pression sociétale qui apparait de tous côtés : il leur apparait nécessaire d’interroger leur modèle d’affaires sous peine de risquer la disparition pour certaines.    

Economie circulaire, entreprise à impact, économie régénérative, sobriété, etc. sont des concepts qui occupent de plus en plus de place dans les réflexions stratégiques des entreprises. Cependant, une entreprise telle qu’elle est perçue aujourd’hui doit générer un chiffre d’affaires croissant, se développer, gagner de nouveaux marchés. Or cela amène des contradictions : comment faire converger cette perception avec des modèles qui poussent vers une limitation de ce développement, avec des notions de lucrativité limitée, de décroissance ? Est-ce possible ? Doit-on redéfinir la croissance ? En bref, comment créer de la valeur autrement. 

Les modèles d’affaires doivent intégrer la sobriété  

Tous les modèles d’affaires actuels sont insuffisants ou limités : il existe des inconnus sur leur effet rebond -davantage de consommation au final-, et il n’y a pas de remise en cause des réels besoins derrière la consommation. Le dépassement planétaire est toujours avéré : les prix sont anormalement bas, entrainant une surconsommation, et l’augmentation des prix nourrit le mécontentement.  

Il serait nécessaire que l’innovation soit rendue utile à l’usage or c’est rarement le cas, et l’utilité du renouvellement perpétuel de la technologie est également à interroger. 

La prise de conscience environnementale des consommateurs subit des injonctions contradictoires : l’envie est là mais il continue à être incité à consommer et certains leviers ne bénéficient pas de sa confiance (labels, professionnels). Ainsi, l’interdépendance entre l’offre et la demande est à travailler.  

Comment intégrer cette sobriété ? par la démonstration qu’elle peut être heureuse et pas contrainte, par une réorganisation collective de la société autour, par un effort égalitaire dans lequel l’Etat agit.  

Il est maintenant évident que la sensibilisation mondiale actuelle envers l’écologie est insuffisante pour entrainer les changements de comportement nécessaires : une réflexion sur l’occupation de notre temps et sur nos réels besoins est à mener. 

Un arbitrage est également à faire sur ce qu’il est réellement utile de produire, la sur-transformation doit être évitée, et les effets utiles des biens permettant de réorienter les usages travaillés. 

Enfin, l’environnement et le social sont à intégrer dans les référentiels comptables afin que les externalités positives et négatives des biens et des services soient rendues visibles.  

La sobriété et les chaines de valeur des entreprises  

La conception est très peu interrogée aujourd’hui, alors qu’elle représente 80% de l’impact d’un produit. L’écoconception est la première étape, cependant produire un bien sans fin de vie et sans rien produire de nouveau va plus loin. 

Pour cela, la réduction de l’utilisation des ressources naturelles (métaux, teintes, etc.) est indispensable, tout comme la simplification technologique des biens (qui facilite leur recyclage) et des services (data à rendre sobre), et la multifonctionnalité des biens, des espaces et des infrastructures (partage, deux produits en un). Enfin la pérennité programmée est à proposer au consommateur (sur ce sujet, voir l’article : Mob-ion : la « Pérennité Programmée » (eclaira.org)). 

Concernant l’impact de l’approvisionnement, il peut être très important pour certaines entreprises et il est peu pris en compte par les fournisseurs ; une piste peut conduire à compenser financièrement la perte des producteurs du fait de leur moindre prélèvement des ressources. 

Dans le cadre de la production, la logique de volume prime toujours actuellement ; il s’agirait donc de vendre moins mais de meilleure qualité, de mettre en place une production à la demande et sur mesure, de déployer l’impression en 3D qui apporte déjà beaucoup aujourd’hui, et de déployer l’efficience matière (l’ADEME propose le diagnostic « Bilan Matières » qui permet donc d’utiliser la juste quantité de matières premières). 

La problématique des emballages, conditionnements et stockages est impactée d’autant plus aujourd’hui avec l’explosion des e-colis. La solution consiste à éviter le suremballage, et celui qui est inutile ou disproportionné. 

La demande en transport est à diminuer, avec des moyens de transport bien remplis de produits de petite taille correspondant à celle de leur emballage, sur des distances raccourcies. Le report modal est à accentuer. Mais attention : les circuits courts, la mutualisation et l’optimisation du remplissage ne sont pas toujours gages d’un moindre impact environnemental. 

Le marketing et la publicité peuvent aboutir à faire vendre autrement, ou tout simplement être supprimés. 

Concernant l’usage et la consommation, l’usager doit être formé au bon usage du bien et à son entretien pour lutter contre le gaspillage, la réparabilité et la maintenance du bien (y compris par l’autoréparation) doivent être facilitées, et enfin, il peut être mise en place une récompense financière pour achat de produits vertueux. 

Le seul paiement de l’utilisation réelle du bien peut également être organisé (comme peuvent le pratiquer des entreprises qui ont déployé l’économie de la fonctionnalité et de la coopération -EFC-, par exemple Electro Calorique).  

Enfin, la réparabilité des produits prend de l’ampleur auprès des entreprises mais la réparation coute encore trop cher à l’usager par rapport au rachat d’un produit neuf. Par ailleurs, les pièces détachées sont encore trop peu accessibles, et de plus, les usagers commencent à exprimer leurs doutes envers la vocation finalement peu écologique du recyclage.  

Les apprentissages des entreprises sur la transformation  

Les principales transformations sont apportées par les entreprises, mais le changement de modèle économique prend de 3 à 7 ans et il est nécessaire de chiffrer les éléments de progrès pour avancer de manière objective.  

L’exploration reste la règle : le modèle unique n’existe pas, cependant les tests peuvent être multiples.  

Il est avéré que toute taille d’entreprise peut agir, même si une grosse structure verra ses externalités négatives plus difficiles à maitriser.    

Parfois, la sobriété peut même être atteinte par des voies indirectes (sans que ce soit le but premier) ou par des opportunités adjacentes. 

Les difficultés de cette mutation résident dans la complexité du pivotement du modèle économique : cette première implique de fortes implications internes (réflexions les plus transverses possibles, stratégie claire et collaborative pour fédérer, formation, incitation), et toute la chaine des fournisseurs est entrainée dans le changement.   

Son retour sur investissement est long, induisant l’absorption des pertes intermédiaires. 

L’écosystème français bancaire, comptable et boursier n’est pas conçu pour gérer une rentabilité à long terme et les financeurs ne sont pas prêts à couvrir ces nouveaux modèles. Les normes comptables de ces modèles ont une durée d’amortissement courte, sur le modèle linéaire, et la Bourse leur demande des gages ; des expérimentations sont également nécessaires dans ces domaines. 

Il faut par ailleurs s'assurer de ne pas créer d’effet rebond, en passant par la coopération entre les entreprises et leurs fournisseurs, clients, partenaires et concurrents, mais également avec les bureaux d’études et les chercheurs. L’entièreté des parties prenantes de l’entreprise est en définitive à intégrer dans chaque réflexion, car cela peut amener à mutualiser les couts et créer de la valeur à plusieurs (Le cabinet d’architecture Morpho Architecture, qui déploie l’EFC, a par exemple mis en place une offre collaborative).  

De nouveaux indicateurs de performance sont nécessaires, comme éventuellement une rémunération sur les couts évités en énergie ou en matières premières, et indiscutablement des outils de mesures d’impact réalistes, efficaces, homogènes et complets.    

La baisse des flux est l’objectif de la sobriété, que ce soit pour l’entreprise ou le client : actuellement contraire au modèle économique dominant, la rentabilité apparait pourtant chez certaines entreprises pionnières et l’absence de croissance a même fait ses preuves pour Nexans (interview pour l’ADN).  

Aujourd’hui, le renoncement à croitre est faible (1% des dirigeants), mais la dynamique collective démontrée par la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) fait monter ces intentions jusqu’à 30%. 

Voici le lien vers cette étude complète : Etude - la sobriété au coeur des modèles d'affaires de demain.pdf (cci-paris-idf.fr)  

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Auteur de la page

Mathilde Le Loup

Chargée de mission

Modérateur

Nicolas Frango

Animateur club CLEF & chargé de missions CIRIDD