[REGARDS CROISÉS] Une pluralité de solutions face à un défi complexe

[REGARDS CROISÉS] Une pluralité de solutions face à un défi complexe

Témoignage d'Éric Tardieu, Directeur général de l’Office International de l’Eau (OiEau)

Pourquoi sommes-nous confrontés à une pénurie croissante d'eau « douce » en France ?

E.T. : La quantité d’eau sur terre ne bouge pas. On ne peut donc pas vraiment parler de pénurie à l’échelle mondiale mais d’une répartition différente due au changement climatique. Une raréfaction est observée en France tout comme en région méditerranéenne ; le Maroc a, par exemple, perdu 25 % de précipitations depuis une cinquantaine d’années tandis que le bassin du Congo reçoit de plus grandes quantités d’eau. Nous avons aujourd’hui une connaissance des modèles climatiques au niveau mondial et continental mais nous avons besoin d’une meilleure connaissance au niveau national et local, ce qui est en cours en France avec notamment le projet Explore2* mené par l’INRAE et l’OiEau pour le ministère de la Transition écologique.



Quelles sont les utilisations de l’eau qui rencontrent un risque dû à cette nouvelle répartition de l’eau ?

E.T. : Aujourd’hui l’eau est fondamentale pour trois grands domaines en France : l’eau de consommation, l’agriculture et l’énergie. En ce qui concerne l’eau potable, il faut savoir que 2/3 de l’eau que nous consommons provient des nappes phréatiques. Nous observons une diminution croissante de l’eau disponible. Des régions françaises ont déjà été en manque d’eau potable à l’été 2022 notamment. Pour prévenir ces risques, il est nécessaire d’augmenter l’interconnexion des réseaux d’eau, entre deux communes par exemple, pour mutualiser les sources et augmenter ainsi la résilience. Il faut aussi, bien entendu, faire davantage preuve de sobriété. En agriculture, la demande en irrigation, nécessaire en particulier en été lorsque les nappes phréatiques sont au plus bas, est croissante du fait de l’assèchement des sols et de l’augmentation des températures. Plusieurs solutions sont en développement comme l’irrigation par goutte-à-goutte, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) ou la mise en place de retenues d’eau diverses. Mais, il est surtout nécessaire de réinterroger les conditions de la production agricole française.

Le domaine de l’énergie dépend aussi fondamentalement de l’eau, principalement pour les barrages français mais aussi pour les centrales nucléaires. Le niveau des rivières diminuant, le flux d’eau risque de ne plus être suffisant pour refroidir efficacement les centrales. Plusieurs ont dépassé les seuils à l’été 2022, c’est-à-dire que l’eau restituée au milieu naturel a dépassé la température maximum tolérable par les écosystèmes et ont donc dû réduire leur production.

Comment décider d’une répartition équitable ?

E.T. : La gestion de la ressource en eau en France est découpée en bassins hydrographiques dotés de 6 agences de l’eau qui préparent les arbitrages entre les différents besoins en eau grâce à différents outils. Les agences compétentes en Auvergne-Rhône-Alpes sont Rhône- Méditerranée-Corse et Loire-Bretagne. Chacune d’entre elles réalise une planification sur 6 ans à travers les schémas directeurs d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE) ainsi que des plans pluriannuels pour soutenir des actions spécifiques comme le financement de solutions techniques (ex : maîtrise des rejets polluants industriels ou agricoles). Le SDAGE mis en place par l’agence de l’eau RMC a été adopté le 18 mars 2022. Des comités de bassin ont aussi été créés où l’on retrouve des représentants de l’ensemble des usagers de l’eau : l’Etat, les collectivités, les industriels, les agriculteurs et les associations environnementales. Ils discutent et produisent des scénarios ainsi que des hypothèses de soutien en fonction des besoins, de la disponibilité des ressources et des enjeux économiques et environnementaux. Des organes plus locaux ont été mis en place au niveau des sous- bassins à travers les commissions locales de l’eau (CLE).


* Explore2 - les futurs de l'eau https://urlz.fr/lXMb



Témoignage d'Agathe Euzen, Directrice adjointe de l’Institut Ecologie et Environnement (INEE) du CNRS, responsable de la Cellule Eau du CNRS et co-directrice du Programme OneWater – Eau Bien Commun

Pourquoi sommes-nous confrontés à une pénurie croissante d'eau douce en France ?

A.E. : On désigne par « pénurie en eau » la situation de manque pour satisfaire les besoins, non seulement des écosystèmes, mais aussi ceux liés aux activités humaines. Une sécheresse, caractérisée par une absence d’eau dans les sols, a moins d’impact dans un lieu non anthropisé**. Dans ce contexte, cela implique que l’on ne peut plus disposer d’autant d’eau que ce à quoi nous sommes habitués. Certains usages doivent être reconsidérés en fonction de la disponibilité des ressources et de ses variabilités dans le temps et dans l’espace. Cette pénurie est issue d’un ensemble de phénomènes liés au changement global :

  • dérèglement climatique : augmentation  de la température, évolution de la pluviométrie, exacerbation de phénomènes extrêmes (inondations, sécheresses, canicules, tempêtes, etc.), ce qui peut conduire au dérèglement des saisons ;
  • développement des activités humaines dont l’artificialisation des sols ;

  • accroissement démographique qui augmente la demande.

Quels sont les dangers qui menacent notre approvisionnement en eau ?

A.E. : L’eau, c’est la vie. Elle doit donc d’abord satisfaire le vivant. Les socio-écosystèmes dont les humains font partie et l’eau destinée à la consommation humaine sont prioritaires mais il faut trouver les moyens de satisfaire aux mieux les autres usages. L’eau douce est répartie de manière très inégale sur les territoires et pas toujours présente là où se développent les activités humaines. Parfois, selon les régions, des restrictions d’eau deviennent nécessaires car la demande est supérieure à la capacité de renouvellement de la ressource. Le risque est donc de manquer d’eau au moment et à l’endroit où on a besoin. La réflexion en amont des usages de l’eau devrait permettre d’utiliser cette ressource avec sobriété.

Quelles sont les solutions prioritaires, consensuelles ou non, et réalistes face à cette pénurie ? À quelle échelle ?

A.E. : Il est difficile de se prononcer sur une solution unique. Il en existe une palette. Elles doivent être adaptées aux spécificités des territoires, de leurs besoins et usages spécifiques. La disponibilité de la ressource concerne tous les acteurs, chacun selon ses priorités. Il est important de réévaluer les usages de l'eau à l'échelle des territoires en tenant compte des pressions multiples. Pour cela, il est nécessaire de renforcer une gouvernance plus intégrative, raisonnée et systémique des usages de l’eau, à toutes les échelles et pour tous les secteurs. Parmi les réponses, la mobilisation de ressources alternatives et le développement de techniques peuvent être envisagés et considérés selon leurs coûts-bénéfices économiques, environnementaux et sociaux, et leur adaptabilité aux spécificités des territoires : 

  • la récupération d’eau de pluie qui est, cependant, nécessaire aux écosystèmes ;
  • la récupération des eaux usées dites grises*** dont la qualité du traitement permettra d’identifier des usages qui pourront en bénéficier ;
  • la désalinisation, par exemple pour les villes touristiques littorales qui connaissent de fortes demandes en saison estivale.

Toutes ces sources d’eau nécessitent une réflexion au niveau environnemental du fait de leur prélèvement à un moment et à un endroit précis. D’autre part, ces ressources alternatives, d’une qualité différente, impliquent de créer de nouveaux réseaux dans des lieux déjà urbanisés. Cela entraine des problématiques techniques, financières, sanitaires ou de gestion non négligeables. Enfin, la question de la consommation d’une eau de moindre qualité se pose aussi, en particulier du fait de la représentation culturelle de la pureté de l’eau et de ses usages.


** Modifié par les sociétés humaines
*** Eaux issues de la salle de bains, de la cuisine et des machines à laver le linge ou la vaisselle


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°26 / juin 2023

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Auteur de la page

Arthur Bonglet

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