[REGARDS CROISÉS] Une abondance illusoire : quelles alternatives ?

[REGARDS CROISÉS] Une abondance illusoire : quelles alternatives ?

Témoignage 1


Témoignage de Pascal Peduzzi, directeur du GRID-Genève (Programme des Nations Unies pour l'Environnement) et professeur au Département F.A Forel des sciences de l’environnement et de l’eau, Université de Genève.

Le GRID-Genève, créé en 1985 et constitué de 22 personnes, a pour objet de transformer des données en information. Mandaté par les Nations Unies pour travailler sur la problématique du sable, il a ainsi produit des rapports et recommandations à destination des pays de l'ONU. Le mandat actuel consiste à améliorer la connaissance scientifique, technique et politique sur le sable.

Pouvez-vous expliquer brièvement l'importance du sable dans notre société et les principaux secteurs qui l’utilisent ?

P.P. : Par an, nous utilisons 50 milliards de tonnes de sable et de gravier, soit 18 kg par personne et par jour. Cela représente chaque année un volume équivalent à un mur de 27m de haut et 27m de large autour de l’équateur. En effet, son utilisation est constante : verre, béton, électronique, etc. Les villes sont faites de sable et de gravier. La verticalisation du développement de celles-ci augmente le besoin en ces ressources.

Cependant, la législation est faible sur ce sujet. Un de nos objectifs est de créer un observatoire mondial du sable avec un réseau de partenaires pour aller plus loin dans notre mission. Le but est de monitorer les pratiques mondiales afin d’augmenter les standards d’extraction et ainsi réduire les impacts ainsi que l’utilisation même du sable grâce à différentes solutions comme la substitution ou la rationalisation. Nous réalisons actuellement une consultation auprès des différents pays des Nations Unies pour connaitre leur intérêt pour cette initiative.

Notre but est d’alerter les gouvernements et les entreprises sur la question du sable car bien qu’il soit disponible en grande quantité, nous en extrayons des volumes tellement importants que cela met en danger les écosystèmes mais aussi les ressources en sable qui se renouvellent très lentement. Notre société est aujourd’hui complétement dépendante du sable pour notre développement en tant que matériau de construction, mais nous en sommes aussi dépendant pour les services que le sable offre dans nos écosystèmes. C’est un élément stratégique.

Quels sont les problèmes environnementaux liés à l'extraction excessive de sable ?

P.P. : Le gravier et le sable ont longtemps été prélevés dans les rivières où ils jouent un rôle crucial dans l’écosystème, de filtration notamment et de régulation des cours d’eau. Les prélèvements ont donc transformé les rivières tout comme les bords de mer en augmentant l’érosion et la turbidité1. Cela impacte alors les nappes phréatiques (qui sont constituées de sables et graviers) car l’eau percole à travers des couches de sable avant d’arriver dans celles-ci. L’extraction du sable détruit tout autant l’habitat de la faune (crabes, tortues, poissons, etc.) que les micro-organismes, entrainant une stérilisation du milieu.

"Notre société est aujourd’hui complètement dépendante du sable dans notre développement mais aussi dans notre écosystème."

Comment les gouvernements et les organismes de réglementation peuvent-ils contribuer à promouvoir des pratiques plus durables et une gestion responsable de l'extraction et de l'utilisation du sable ?

P.P. : Les gouvernements sont responsables des constructions des infrastructures. Ils ont ainsi des possibilités d’actions à travers leurs politiques publiques. Pour ce qui est de l’extraction du sable, les gouvernements devraient identifier et cartographier les ressources, ensuite gérer celles-ci sur le long terme en s’assurant que les licences d’exploitation suivent des règles de durabilité et en constituant un budget pour la renaturalisation en fin de la période d’exploitation. Cependant, certains pays n’ont même pas de législation pour encadrer l’extraction de sable.

Quelles sont les approches ou les technologies innovantes actuellement disponibles pour réduire la dépendance à l'égard du sable ?

P.P. : Il existe de nombreuses solutions. Tout d’abord, il est important de réduire l’utilisation du sable en construisant des bâtiments pour une longue durée. D’autre part, nous pourrions avoir des bâtiments polyvalents et modifiables en fonction de leur utilisation (ex : possibilité de passer d’un usage pour une l’école à une maison de retraite). L’objectif est d’éviter de démolir et de favoriser la transformation plutôt que la construction.

Le recyclage du béton est une piste de plus en plus employée. Il reste cependant des régulations à mettre en place. Par exemple s’assurer que les taxes sur la transformation des bâtiments soient inférieures à celle de la construction de nouveaux bâtiments afin de privilégier cette première option.

Une autre piste dans la valorisation des déchets est liée à l’usage des sables de mâchefers, résidus issus de l’incinération des déchets. Après extraction des métaux lourds qui peuvent eux-mêmes être valorisés, puis un lavage, les mâchefers permettent de réaliser un béton seulement 11% moins robuste que celui issu du sable naturel, tout en restant dans les normes. D’autres projets cherchent à utiliser ce matériau pour produire du ciment.

L’utilisation de bois-paille pour la construction constitue aussi une solution. Cela permet un stockage du CO² plutôt que des émissions dues à la production de ciment. L’isolation est aussi meilleure et les matèriaux recyclables. L’impact environnemental est donc réduit.

Comment pouvons-nous encourager une utilisation plus sobre et une gestion plus durable des ressources en sable ?

P.P. : En plus de ces solutions techniques, il est nécessaire de réduire les impacts lors de l’extraction de sable en demandant aux entreprises d’adopter de meilleurs standards. De même, les pratiques actuelles de construction encouragent la surutilisation de béton. De nouvelles formes d’architecture permettraient de réduire son utilisation. Il faut pour cela former les futurs ingénieurs et architectes à ces questions. Une réflexion sur le modèle de développement des villes, notamment sur la question de la mobilité et l’aménagement du territoire, permettrait aussi alors une réduction de l’utilisation de cette ressource en favorisant la mobilité douce et les transports publiques par rapport à la mobilité par voiture individuelle qui nécessite toujours plus de routes et est sources de nuisances (pollution, émission de GES et bruit).

Il est également important de restaurer les sites après extraction, comme cela pu être déjà fait sur certaines zones, amenant parfois davantage de biodiversité qu’avant.

En ce qui concerne l’utilisation du sable pour l’électronique, les pratiques classiques d’économie circulaire constituent des solutions concrètes : faire durer, permettre la réparation, adapter les lois pour exiger des garanties sur 5 ans, etc.

Tout comme pour l’urbanisme, il est important de penser nos usages avant d’innover. La mise en place de la 5G provoque un renouvellement des appareils de téléphonie mobile en rendant les précédents obsolète. Par ailleurs concernant les usages à domicile ou au travail, la 5G pourrait être avantageusement remplacée par de la fibre optique. Utiliser les antennes 5G pour une utilisation à l’intérieur des bâtiments reviendraient à utiliser des projecteurs externes pour éclairer sa lecture en lieu et place d’une lampe de bureau.

Ces avancées nous rendent dépendants de matériaux critiques comme le cobalt et le lithium qui non seulement font plusieurs fois le tour de la planète avant que les produits finis ne nous parviennent mais sont eux aussi en raréfaction et sont issus de mines dont l’exploitation se fait dans des conditions humaines et environnemental parfois catastrophiques.

Le Programme des Nation Unies pour l’Environnement ne peut que faire des recommandations pour ces sujets et n’a pas de pouvoir législatif. En face il y a des intérêts économiques ainsi que du lobbying important. Le PNUE n’est pas opposé au progrès, mais prône un développement durable et donc une approche sur le long-terme en respect avec l’environnement et les générations futurs. L’idée serait plutôt de favoriser des innovations qui évitent la pénurie de ressources, comme par exemple, l’économie de la fonctionnalité.


Témoignage 2


Témoignage de Amor BEN FRAJ, directeur de recherche, chef de groupe et directeur adjoint de l’UMR Matériaux pour une Construction Durable.

Le Cerema a vocation d'apporter des connaissances, des savoirs scientifiques et techniques et des solutions innovantes au cœur des projets territoriaux pour améliorer le cadre de vie des citoyens. Le Cerema s’intéresse à l’économie des ressources et à la valorisation des matériaux alternatifs dans les constructions. Les travaux de recherche de l’Unité Mixte de Recherche « Matériaux pour une Construction Durable » (UMR MCD), sous la tutelle du Cerema et de l‘Université Gustave Eiffel, s’intègrent parfaitement dans ce contexte.

Ces travaux visent à mieux appréhender le comportement des matériaux de construction intégrant des produits alternatifs sur trois plans : i) les interactions entre matériaux conventionnels et matériaux alternatifs, ii) l’impact des matériaux alternatifs sur la durabilité de l'ouvrage en lien avec les propriétés des matériaux mis en œuvre et l'environnement d'exposition, iii) l’Analyse de Cycle de Vie et les impacts environnementaux des matériaux formulés dans le cadre d'une démarche d’économie circulaire.

Quels sont les problèmes environnementaux liés à l'extraction excessive de sable ? 

A.B.F. : Des volumes importants sont prélevés dans les carrières, les rivières ou les milieux marins ; le sable est le minéral le plus consommé au monde.

L’idée reçue veut que les bâtiments soient majoritairement concernés, mais le verre, les ordinateurs, les puces de téléphone, les peintures, les lessives et les cosmétiques en utilisent une grande quantité. De plus, la demande en sable va croissante avec la démographie et la demande de confort (notamment pour les pays en développement) qui sont en pleine croissance. 

Les extractions de sable modifient les traits de côte marine et la morphologie des rivières, la faune et la flore en pâtissent et, plus largement, cette pratique a des impacts sociétaux et géopolitiques (mafia et exploitation humaine, dans certains pays, dues au surenchérissement de la valeur du sable). Singapour et Dubaï, par exemple, ont des besoins de construction importants et ont épuisé leurs réserves de sables proches et puisent ailleurs  (pour Dubaï, le grain du sable du Sahara n’étant pas adapté pour la construction), entraînant alors son déplacement et donc une empreinte carbone. Le transport du sable a ainsi également un impact environnemental : par exemple, l’Ile-de-France importe presque la moitié de ses besoins en granulats pour la construction des régions voisines comme d'autres pays.

Comment les organismes de recherche contribuent-ils à promouvoir une gestion responsable de l'extraction et de l'utilisation du sable ? 

A.B.F. : Les pratiques dépendent des normes mises en place dans chaque pays. La France possède des réglementations permettant la limitation de l’extraction des granulats alluvionnaires et autorisant l’incorporation des granulats recyclés dans les bétons. Le granulat est composé de gravier et de sable. Il représente la majorité de la composition du béton.

Les normes évoluent grâce aux avancées des projets de recherche. Cependant, elles pourraient aller plus loin, notamment au niveau européen.

Ci-dessous quelques exemples de projets de recherche :

  • Les travaux du Projet National RECYBÉTON2 ont permis de faire évoluer le cadre normatif, qui autorise depuis peu jusqu’à 50% de gravier recyclé et 20% de sable recyclé en substitution du gravier et du sable naturel, respectivement.
  • Les travaux du projet européen SeRaMCo3 ont montré la possibilité de produire à échelle industrielle (par VICAT) un ciment à base de fines4 de recyclage. La norme autorisant l’usage des ciments à base de fines recyclées est en cours d’élaboration.
  • Les travaux du Projet National FASTCARB5 ont démontré que le granulat recyclé peut servir de puits de carbone.

Actuellement, nous participons au projet SAND6 financé par l’ADEME et porté par PAREX Lanko/ Sika, et qui traite de la valorisation des sables recyclés et de boues de bétons dans les mortiers d’enduit et les mortiers colle.

"Les normes évoluent grâce aux avancées des projets de recherche."

Comment pouvons-nous encourager une utilisation plus sobre et une gestion plus durable des ressources en sable ?

A.B.F. : Des politiques économes en sable devraient viser, dans l’ordre, à :

  • Réduire les besoins ;
  • Privilégier la réhabilitation des bâtiments existants en adaptant leur usage aux différents besoins ;
  • Éviter la sur-qualité, avec un meilleur dimensionnement, permettant de garantir la durabilité adaptée de l’ouvrage, qui correspond à sa durée d’utilisation, ni plus, ni moins ;
  • Promouvoir les matériaux alternatifs, notamment les granulats recyclés (i : les granulats recyclés : déconstruire, plutôt que démolir, les bâtiments existants pour constituer un gisement de granulats recyclés de bonne qualité. Le tri est la clé d’une valorisation réussie. La démultiplication sur le territoire des plateformes de recyclage est également un préalable, pour limiter la pollution générée par le transport des matériaux.)

Peut-on envisager l’utilisation d’autres matériaux ?

A.B.F. : L’utilisation d’autres déchets de sable, tels que les terres excavées et les sédiments de dragage, est possible. Ces matériaux ont aujourd’hui le statut de déchet alors qu’ils représentent une alternative prometteuse aux matériaux conventionnels. Leur valorisation, dans une démarche d’économie circulaire, participerait à la réduction des quantités de déchets et de la distance du transport.

Qu’en est-il des filières d’écoconstruction ?

A.B.F : L’écoconstruction “prend en compte l’impact de la structure sur l’ensemble de son cycle de vie, c’est-à-dire de l’extraction des matériaux à sa fin de vie, en passant par la fabrication, le transport et la livraison. En outre, les impacts énergétiques et environnementaux de chaque matériau, du chantier et de l’exploitation sont limités.” (source : Greenly Institute).

Il est nécessaire de mixer les matériaux pour ne pas aboutir à recréer d’autres pénuries et extractions à outrance d’autres ressources naturelles (dont les matériaux bio sourcés) éventuellement prélevées en longue distance.

En conclusion, il est évident que la sobriété doit être mise en œuvre, en parallèle des autres actions, afin de préserver notre planète, notamment pour nos enfants. Et comme le dit Antoine de saint-Exupéry «  Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».


Notes :

  1. La turbidité est la mesure de l'aspect plus ou moins trouble de l'eau. C'est l'inverse de la limpidité. https://www.inspq.qc.ca/eau-potable/turbidite
  2. Projet National Recybéton https://www.pnrecybeton.fr/
  3. Projet Européen Interreg SeRaMCo (Secondary Raw Materials for Concrete Precast Products) https://lc.cx/qEKcBD
  4. Granulat constitué d'éléments de très petites dimensions, utilisé pour augmenter la compacité du béton, d'un sol, etc.
  5. Projet FastCarb (Carbonatation accélérée de granulats de béton recyclé) https://fastcarb.fr/
  6. Projet SAND Valorisation de sables issus de déchets de bétons en mortiers https://cutt.ly/vwjhzObB

Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°27 / septembre 2023

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Arthur Bonglet

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