[Regards croisés] Quelle échelle pour une transition effective vers l’économie circulaire ?

[Regards croisés] Quelle échelle pour une transition effective vers l’économie circulaire ?

Pour une transition effective vers l’économie circulaire, la question de l’échelle des projets et initiatives d’économie circulaire est incontournable. Déterminer l’échelle pertinente n’est pas aisé et est variable d’un projet à l’autre. Dominique Bourg et Yves Cretegny nous apportent tour à tour quelques éclairages.


TÉMOIGNAGE DE DOMINIQUE BOURG, PHILOSOPHE ET PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

L’échelle pertinente des projets d’économie circulaire est l’échelle globale. Les limites planétaires sont le référentiel, qu’il s’agisse de gaz à effet de serre, d’érosion de la biodiversité ou des ressources, etc. Les efforts locaux se mesurent en fonction de leur contribution à un objectif global.

Réduire par exemple les émissions de carbone dans un seul pays n’aurait aucun sens. Cela vaut également pour la consommation de ressources. C’est le taux de croissance mondial de la consommation d’une ressource qui conditionne l’impact de son recyclage. Au-delà d’un taux de croissance mondial supérieur à 1%, l’effet même d’un fort taux de recyclage est quasiment nul. La part recyclée d’une ressource donnée, réintroduite une ou deux décennies après sa première introduction, n’est qu’une partie plus ou moins réduite de la consommation au présent de cette ressource. Depuis le début des années 2000, la consommation de ressources croît d’ailleurs plus vite que le PIB mondial.

Comment décliner ces enjeux globaux à l’échelle des projets ?

La prise de conscience des enjeux planétaires au niveau local est la première étape.

Je suis convaincu que les mentalités changent car les populations sont de plus en plus directement confrontées aux dégradations environnementales. Par exemple, c’est la quatrième année où elles se heurtent à une augmentation des températures, très nette depuis 2016.

Les politiques publiques devraient avoir un rôle fondamental. Elles devraient fixer des objectifs clairs, mesurables, qui se resserrent progressivement en vue de revenir, quand c’est possible, en deçà des limites planétaires. La manière d’atteindre ces objectifs doit rester libre afin d’encourager les initiatives les plus écologiques et les plus expérimentales.

Pour ce faire, la réglementation est le principal levier. Celle-ci doit insuffler des innovations basées sur des logiques économiques différentes et favorisant la régénération des écosystèmes (par exemple, le concept d’économie symbiotique d’Isabelle Delannoy). Elle doit inciter à plus de mutualisation, de modularité, de circularité dans la conception des produits et services. Des directives européennes à l’instar de celle de 2014 obligeant, d’ici 2017, le fonctionnement des équipements radioélectriques avec des chargeurs universels, doivent s’amplifier.

Dans une tribune au « Monde » (09/07/17), Romain Ferrari, François Grosse et moi-même préconisons d’imposer progressivement dans les produits et équipements neufs, une proportion de matières premières recyclées et bio-sourcées, dans le cadre d’une directive européenne. Cette mesure conduirait à déployer localement des activités économiques en partenariat avec les collectivités territoriales tout en réduisant fortement l’utilisation de ressources non renouvelables, et de démultiplier ces solutions locales à une échelle européenne.

L’échelon territorial est très intéressant, les collectivités territoriales ont un rôle déterminant. Par exemple, l’autopartage, la mutualisation de véhicules électriques, le covoiturage ont pu se développer à l’échelle internationale grâce à un ancrage territorial fort.

La démultiplication et l’amplification des initiatives permettent-elles d’atteindre une transition effective vers l’économie circulaire ?

Aujourd’hui, il existe une multitude d’initiatives qui sont des niches pour la transition. La difficulté est de rassembler ces « pièces du puzzle ». Il s’agit d’activer les bons leviers pour changer d’échelle : l’engagement des autorités publiques et les directives européennes apparaissent comme incontournables.

Pour en savoir plus :

  • Economie circulaire : imposer des matières recyclées dans les produits neufs. Le Monde, 9 juillet 2017 - http://lemde.fr/2vEFNsb  
  • Ch. Arnsperger & D. Bourg, Ecologie intégrale. Pour une société permacirculaire, Puf, octobre 2017
  • Isabelle Delannoy, Une économie symbiotique et régénérative, à paraître en janvier 2018, chez Actes Sud.

TÉMOIGNAGE D’YVES CRETEGNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA FONDATION POUR LES TERRAINS INDUSTRIELS DE GENÈVE (FTI)

Sur le canton de Genève, quelle échelle est considérée comme pertinente pour conduire une démarche d’écologie industrielle et territoriale (EIT) ? Quels sont les déterminants qui ont permis de définir cette échelle ?

Si l’on raisonne à l’échelle du canton de Genève et sur les flux de matière, le déploiement d’une démarche d’EIT est limité à l’échelle d’un petit territoire.  Il y a peu de grandes entreprises industrielles à Genève consommant beaucoup de matières premières. Par conséquent, il y a peu d’opportunités d’échanges de flux de matière entre grandes entreprises, tels que développés à Kalundborg, caractérisé par une zone à industries lourdes.

L‘étude du métabolisme urbain réalisée à l’échelle du canton de Genève, il y a une dizaine d’années, révèle que les ménages et le secteur tertiaire sont les principaux consommateurs de ressources. Ainsi, l’amélioration du métabolisme urbain pourra être atteinte grâce à de nombreuses mesures individuelles et ponctuelles.  La coopération inter-entreprises apparaît alors comme le vecteur principal de la démarche d’EIT. Mettre en confiance les entreprises entre elles et les inciter à se connaître en sont les étapes clés préalables. Aussi, l’échelle des écoParcs s’avère la plus adaptée pour mettre en relation les entreprises et créer des synergies.

Cette étude a également mis en évidence que :

  • L’eau, les matériaux de construction et l’énergie sont les trois ressources les plus consommées sur le territoire.
  • Genève dépend beaucoup de l’extérieur pour son approvisionnement en énergie.
  • Les matériaux de construction, essentiellement le gravier, présentent une double difficulté du fait d’une capacité d’exploitation des gravières genevoises limitée à une vingtaine d’années et d’un manque d’espace pour enfouir les déchets de construction.
  • La ressource en eau est abondante sur le territoire grâce à la présence du lac et du Rhône.

La démarche d’EIT va ainsi chercher à utiliser les ressources locales disponibles à travers la récupération de la chaleur émise par les entreprises, l’utilisation de l’eau du lac pour chauffer ou refroidir des bâtiments, le recyclage des déchets de construction, etc.

En quoi dépasser le périmètre des écoParcs industriels peut-il être pertinent pour l’EIT ? Jusqu’où peut-on étendre le périmètre et pourquoi ?

Sur le canton de Genève, la démarche d’EIT est conduite à l’échelle d’une zone industrielle (ZI). Plusieurs démarches d’EIT sont ainsi enclenchées en parallèle.

La plateforme www.Genie.ch a été créée pour faire connaître les initiatives conduites sur Genève et les démultiplier au sein de chaque ZI et plus largement sur le canton.

Etendre le périmètre d’étude au-delà de la limite de la ZI a tout son intérêt. Cela permet d’identifier des opportunités et d’optimiser les solutions retenues. Par exemple : sur la ZI de Plan-les-Ouates, la récupération des rejets thermiques à basse température des entreprises permet de couvrir une part importante des besoins de chauffage des bâtiments de la ZI. A l’horizon 2020, une première extension du projet permettra d’alimenter en chaleur le futur quartier d’habitation des Cherpines.

La mise en œuvre de symbioses industrielles à l’échelle du Grand Genève est pertinente mais elle est encore très complexe, du fait notamment de contraintes légales liées aux flux transfrontaliers de ressources et de déchets.

Inversement, en quoi considérer strictement le périmètre des écoParcs industriels peut-il être intéressant ?

Initier et entretenir une démarche d’EIT nécessitent la création de liens de proximité entre les entreprises elles-mêmes et les entités publiques d’autre part. Les instances de rencontres et d’échanges, tout comme celles de montage de projet sont plus efficaces à l’échelle d’un territoire délimité. Le sentiment d’appartenance et l’impression de pouvoir jouer un rôle sont plus forts.

Le lien entre le besoin de densification et le développement économique est primordial. Dès lors, parmi les critères d’implantation d’une entreprise, figure l’adéquation de son activité aux services et aux réseaux existants dont elles ont besoin.

De plus, les structures d’économie sociale et solidaire deviennent un moyen de soutenir des projets d’EIT. Implantées sur les écoParcs, elles permettent de compléter in situ la chaîne de valeur (par exemple, pour la transformation des déchets en ressources).

Le concept écoParc industriel de la FTI est basé sur cinq piliers :

  • Une gouvernance active
  • Une stratégie d’implantation
  • Les symbioses territoriales et énergétiques
  • Les mutualisations   
  • Un bâti à faible impact et écomobilité

Pour en savoir plus :


Source : ECLAIRA - Le Bulletin Numéro  N°8 / Octobre 2017

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Rédaction ECLAIRA