[Regards croisés] Quel tourisme pour demain ?

[Regards croisés] Quel tourisme pour demain ?

Témoignage de Guillaume Cromer, président d’Acteurs du Tourisme Durable (ATD). 

 

Cette association agit en faveur d’un tourisme compétitif, créateur de valeurs économiques, sociales et environnementales.

Comment évolue le secteur du tourisme ?

G.C : D’un point de vue général, le tourisme est un secteur économique en pleine croissance. Sa progression de 6% en 2018 à l’échelle mondiale le confirme. Le secteur touristique est en perpétuelle évolution, il a notamment été fortement marqué par l’apparition de nouveaux acteurs tels que les agences de voyage en ligne qui viennent bouleverser les canaux de distribution de l’offre touristique et rendent les acteurs touristiques traditionnels dépendants de leurs services. En parallèle, des enjeux assez forts se dessinent en matière de tourisme durable.


Quels sont les enjeux liés au tourisme ?
 
G.C : Les enjeux économiques liés au tourisme sont très forts. Avec 21,2 milliards d’euros de consommation touristique française et étrangère, soit 8% du PIB, Auvergne-Rhône-Alpes est la 2ème région touristique de France. Toutefois, l’émergence de nouvelles polémiques telles que l’impact du transport aérien sur le changement climatique révèlent une prise de conscience des acteurs du tourisme, pour les professionnels comme pour les voyageurs. Les enjeux  du développement durable appliqués au tourisme s’affirment. La nécessité de développer un tourisme durable est de plus en plus prégnante. 


Quels sont les leviers pour s’engager dans un tourisme durable ?
 
G.C : La sensibilisation du grand public ne sera pas suffisante pour changer le modèle dominant actuel. Le biais cognitif est trop important et il n’est plus possible d’attendre que les choses bougent. Il faut passer par de la réglementation pour engager le tourisme durable à l’échelle européenne et à l’échelle nationale. La France, en tant qu’une des premières destinations touristiques au monde, doit affirmer son leadership et montrer qu’elle s’engage en faveur d’un tourisme durable, intégrant des critères sociaux et environnementaux. À titre d’exemples, une comptabilité triple capital, un classement mondial des destinations durables, ou bien un indicateur basé sur le bonheur des habitants sont autant d’outils qui auraient le mérite d’être exploités pour mettre en avant le tourisme durable.
 
 

La norme aujourd’hui est de partir très loin en voyage. Compte tenu de l’urgence climatique, peut-on vraiment continuer ainsi ? La question de l’effondrement de la biodiversité doit être posée aussi dans le secteur du tourisme : à quoi ressemblerait le tourisme avec l’effondrement du Vivant ?  La question de la mobilité devient cruciale, il faut proposer des alternatives à l’avion, investir massivement dans le train et travailler sur la question du dernier kilomètre. Un changement complet de paradigme semble inévitable si les gens veulent garder ce sentiment de liberté rattaché au tourisme.
 
 
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Témoignage de Véronique Peyrache-Gadeau,  Maître de Conférences en économie territoriale à l’Université Savoie Mont Blanc, chercheuse au laboratoire EDYTEM, unité mixte de recherche du CNRS « Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne ».


Comment le tourisme en montagne  a-t-il évolué ces dernières années ?

V.P-G : En montagne, le tourisme tel qu'il s'est construit depuis les années 1960-70, notamment avec le plan Neige, sur une pratique saisonnière hivernale et des infrastructures capables d'accueillir un public en masse (stations dédiées aux sports d'hiver) est en train de buter sur des limites (manque de neige "naturelle", donc raccourcissement des saisons ; manque d'espace physique, donc fin des grands programmes de construction en altitude ; manque de clientèle face à d'autres destinations nouvelles, plus attractives ou plus compétitives...). 


Quelles perspectives pour ce tourisme ?

V.P-G : Deux perspectives pourraient dessiner les tendances nouvelles :
>>  le changement d'un modèle touristique centré sur l'exploitation de la neige (et de la ressource en eau lorsqu'il s'agit de neige de culture) qui viserait à engager fermement une réorientation des moyens financiers vers d'autres investissements et d'autres activités touristiques "post neige". Les idées sont nombreuses mais peu sont véritablement durables et surtout on ne dispose pas aujourd'hui d'un modèle économique aussi "performant" qu'a pu l'être le modèle Neige.
 
>> un autre cadre économique pourrait se dessiner où le modèle touristique actuel ne serait plus dominant et devrait cohabiter avec d'autres activités. Ce qui signifierait un champ des possibles plus ouvert (notamment vers l’économie résidentielle, vers les initiatives de transition cherchant à se rapprocher d’un environnement naturel…) mais ce scénario ne sera sans doute pas porté par les acteurs ou les usagers du modèle touristique actuel. 
 
 

Quels sont les enjeux du tourisme en montagne ?
 
V.P-G : Les enjeux du tourisme en montagne sont donc fondamentalement d'anticiper une crise structurelle à venir :
>>  soit en opérant une conversion interne (changement de modèle, réorientation des investissements vers d'autres activités dites de tourisme doux, intégré, écotourisme...) avec une perspective respectueuse de l'ensemble des problématiques environnementales et en tenant compte des modifications climatiques qui peuvent être, en toutes saisons, une opportunité pour développer un véritable accueil de populations en recherche de bien-être, et s'engager par exemple vers le "climatisme" en envisageant les modalités raisonnables 
d'une réorganisation et d'un réemploi des infrastructures existantes et en limitant l'empreinte écologique le plus possible.

 
>>  soit par apport de moyens externes venant d'autres secteurs économiques qui peuvent faire valoir leurs intérêts à développer ou à maintenir une activité en montagne en lieu et place des activités touristiques : par exemple les activités agro forestières et pastorales en réponse à des enjeux d'accès aux ressources environnementales (eau, sols, herbe, forêt) ; ou encore les activités santé, bien être, services à la personne, culture, éducation à l'environnement pour des publics vulnérables (jeunes et moins jeunes) aux effets du changement climatique ou des publics désirant accéder à un environnement biocompatible avec la recherche de modes de vie alternatifs au milieu urbain, lieux de ressourcement face au stress des actifs, lieux de déconnexion numérique... ou lieux d'expérimentation d'initiatives de transition écologique....
 

 http://edytem.univ-savoie.fr/


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°14/ juillet 2019

Crédit photos Regards croisés : Taquiman,  V. Jay (CIRIDD), Pixabay

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Auteur de la page

Rédaction ECLAIRA

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Vincent Jay

Chef de projets