La Théorie du Donut, de quoi parle-t-on ?

La Théorie du Donut, de quoi parle-t-on ?

La théorie du Donut suscite un engouement croissant auprès des acteurs qui pensent la transition. Cette nouvelle théorie économique s’inscrit dans une perspective de changement des pratiques en développant de nouveaux indicateurs, avec cette volonté de se détacher de cette notion, aujourd'hui dépassée, de croissance infinie où seul compte le PIB. L’économiste britannique Kate Raworth, qui partage ce constat, propose donc en 2018 une théorie pour l’économie de demain : la théorie du Donut, publiée dans son ouvrage Doughnut Economics, Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economics (La théorie du donut : l’économie de demain en 7 principes). 

Cette économiste s'intéresse au fonctionnement de nos modèles économiques afin de proposer une nouvelle perspective pour les communautés humaines : répondre aux enjeux à la fois sociaux et environnementaux du XXIᵉ siècle, ce que ne permettent pas les modèles économiques dominants. 

Aujourd’hui, plus qu’une simple théorie, elle oriente la trajectoire de plus de 70 villes à travers le monde. 

Crises financières, inégalités croissantes, crise climatique témoignent des dysfonctionnements d’un système fondé sur une idée du progrès qui doit nécessairement prendre la forme d’une courbe linéaire croissante. Selon cette économiste, pour repenser l'économie, il est nécessaire de repenser la finalité même de celle-ci. Ainsi, le donut permet de traduire et de rendre visible un mode de pensée spécifique.

Cette théorie, illustrée par la simple image d’un donut, a permis de démontrer les changements nécessaires à opérer dans la pensée économique pour prendre en compte la réalité d’aujourd’hui et les défis de demain. L’idée est de défendre des propositions concrètes et ambitieuses auprès des décideurs politiques et économiques. Le Donut est revenu sur le devant de la scène dans le cadre des plans de relance suite à la crise du Covid-19, une crise qui a révélé l’impératif de répondre à la double urgence sociale et climatique.  

Mais ce modèle va plus loin, il questionne également les moyens d’y parvenir : quelle conception économique nous permettra d’y parvenir, et comment le mettre en place ? Elle dégage 7 principes fondés sur une modélisation de l’économie, non pas comme un système isolé, mais comme faisant partie d’un tout à travers une vision systémique pour élaborer une économie circulaire et régénérative. L’objectif est alors de repenser l’économie pour répondre aux besoins humains dans un cadre de préservation de l’environnement. Les travaux de cette chercheuse offrent une dimension pédagogique essentielle pour mobiliser une pluralité d’acteurs. 

Le Donut comme nouveau modèle 

L’image est simple : il s’agit de deux cercles concentriques représentant les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux du XXIᵉ siècle, ce qui forme un donut, un espace « juste et sûr pour l’humanité ». Ce cadre visuel combine dans un seul schéma diverses écoles de pensée, notamment les économies de la complexité, écologiste, institutionnelle et comportementale. 

Le plafond écologique :  

Les limites planétaires sont définies par 9 indicateurs environnementaux :  

  • Changement climatique  

  • Utilisation d’eau douce  

  • Cycles de l’azote et du phosphore  

  • Acidification des océans  

  • Pollution chimique  

  • Charge atmosphérique en aérosols  

  • Appauvrissement de l’ozone  

  • Appauvrissement de la biodiversité   

  • Changement d’occupation du sol   

Au-delà de cet anneau externe, la dégradation de l’environnement compromettrait le bien-être des sociétés humaines et la stabilité du « système Terre ».  

Le plancher social :  

Dans la partie intérieure du donut se trouvent les besoins sociaux fondamentaux qui sont recensés avec 12 indicateurs :  

  • Nourriture  

  • Santé  

  • Education  

  • Revenu et travail   

  • Paix et justice  

  • Voix politique   

  • Équité sociale  

  • Égalité des genres  

  • Logement  

  • Énergie  

  • Eau  

  • Assainissement  

En dessous de cet anneau sont représentées les privations humaines critiques comme la faim ou l’illettrisme par exemple. Tout comme pour le plafond écologique, certaines variables ont été définies pour évaluer le niveau à ne pas dépasser pour que l’humanité puisse vivre dignement. Ainsi, ce modèle repense l’articulation entre les enjeux de justice sociale et les enjeux d’intégrité environnementale pour orienter l’économie en faveur d’un développement durable et juste. 

L’économie circulaire et la théorie du Donut 

Le passage de notre modèle économique actuel dit « linéaire » à un modèle circulaire, celui du donut, participe des 7 leviers d’action proposés par Kate Raworth. Ce donut s’apparente à une carte, par ses frontières, et à une boussole, par ses indicateurs, à l’attention des institutions ou des entreprises. Il permet de comprendre la complexité d’une transition pour répondre aux enjeux contemporains auxquels nous faisons face.  

  • Du dégénératif au régénératif ? 

Ce modèle remet donc en cause le processus industriel linéaire et dégénératif qui finit par épuiser les ressources. Il permet l’articulation au sein d’un même modèle des enjeux de justice sociale et d’intégrité environnementale. Il s’agit d’un outil d’évaluation systémique des impacts locaux et globaux, ce qui permet à cet outil de s’adapter à de nombreux objectifs :  la mise en place de stratégie de développement.  

Dans le modèle circulaire, la valeur des ressources, des matières et des produits doit être maintenue aussi longtemps que possible tout en réduisant au minimum la production de déchets, c’est-à-dire qu’on réduit, on répare, on réemploie, on recycle et on partage également.  

Mais si cette vision peut sembler utopique et théorique, elle ne l’est pas : l’appropriation du modèle et son application à différentes échelles permet de placer au centre de ce Donut un objet, une stratégie, un projet...  Il s’agit d’une méthodologie concrète et territorialisée. Le Donut constitue un véritable outil de mise en réseau et de structuration du travail collectif.

Une méthodologie concrète et territorialisée 

Cette théorie trouve des applications concrètes dans l’élaboration d’indicateurs et d’évaluation. 

La représentation précédente du donut peut donc prendre cette forme, avec des zones rouges traduisant le dépassement des limites par notre système économique actuel par exemple : 

         Lorsqu’on l’utilise, on s’aperçoit que le Donut ne donne pas de « solution » à proprement parler. C'est un outil de travail, de visualisation, qui nous fournit une perspective de développement et qui nous dévoile des pistes d'avancement pour y parvenir. Ce sont les acteurs eux-mêmes qui identifient les impacts, donnent forme à l’image du projet et décident des étapes à réaliser. Il s’agit donc d’un outil d’intelligence collective, de créativité, une invitation à collaborer pour opérer ces changements. 

  • Un outil au service des collectivités et des entreprises  

        Fondée en juillet 2019, l’entreprise à intérêt communautaire DEAL fédère aujourd’hui des dizaines d’initiatives portées par des municipalités, des états, des communautés ou des entreprises. Le DEAL (Doughnut Economics Action Lab ou Laboratoire d’action de l’économie du Donut) a été créé par Kate Raworth en 2019 et met à disposition un ensemble d’outils en open source comme le « Doughnut Design for Business » à destination d’un large public : entreprises, entrepreneurs, consultants, société civile, etc.  

Ces outils ont pour objectif de faciliter le parcours exploratoire des entreprises intéressées par l’application concrète de la théorie du Donut sur leurs activités. Il s’agit d’observer l’entreprise à travers le prisme du Donut pour permettre l’émergence d’idées novatrices et transformatrices, de revoir la conception de son entreprise et de son activité afin de s’inscrire pleinement dans la transition vers un futur souhaitable. 

Les capitales européennes se donutisent  

  • Amsterdam 

La capitale hollandaise fut la première ville européenne à miser sur la théorie du Donut pour relancer son économie. 

En 2020, la ville a annoncé un plan de relance, suite aux difficultés économiques liées à la pandémie, inspiré du Donut qui se traduit par une priorisation des besoins élémentaires des citoyens, comme l’accès à l’eau, à l’éducation et à la santé, tout en respectant les besoins de la planète. L’ambition est alors de mettre l’économie au service des besoins humains, mais aussi de l’écologie. Ce plan d’action s’inscrit dans la perspective d’une économie 100% circulaire à horizon 2050. Elle se fonde sur la collaboration entre la collectivité, les entreprises et instituts de recherche sur plus de 200 projets. 

  • Bruxelles 

La Région Brussels-Capitale a suivi le chemin d’Amsterdam et les premières étapes du modèle Donut ont été réalisées entre août 2020 et mai 2021 par le projet Brussels Donut. Depuis février 2022, le projet a pour objectif d’aller plus loin dans l’appropriation du Donut par les acteurs bruxellois et permettre plus de circularité dans la gestion publique grâce à un « Portrait de la Région ». L’objectif final de la région Brussels-Capitale est alors d’imaginer, d’orienter et de prendre des décisions cohérentes pour une transition écologique et solidaire, vers un modèle de société soutenable. 

En effet, les politiques économiques régionales avaient certains programmes de soutien à des entreprises de la transition, mais sans une vision globale ni une réelle prise en compte des impacts écologiques. Il leur fallait donc un outil pour investir ce champ-là, de nouveaux indicateurs et d’une boussole pour orienter leurs administrations. 

Le territoire a décidé de décliner le modèle du donut non seulement au niveau territorial, mais également à trois autres niveaux et auprès de divers publics. Le niveau macro, avec le portrait Donut de la Région, entend situer celle-ci entre le plancher social et le plafond écologique. Au niveau méso, avec plusieurs institutions publiques régionales, l’ambition est de faire de l’approche du donut un guide pour l’action publique (comme outil de diagnostic, d’évaluation ou d’attribution des aides publiques). Au niveau micro, des acteurs de la région déjà impliqués dans la transition ont été incités à utiliser le donut comme outil de réflexivité et de travail collectif. Le niveau nano, quant à lui, a une visée pédagogique et de sensibilisation. Il permet une entrée simple et concrète dans le donut à travers l’analyse d’un objet du quotidien. 

Les territoires d’Auvergne-Rhône-Alpes  

  • Grenoble 

Capitale Verte Européenne 2022, Grenoble s’essaie depuis cette même année aux indicateurs du Donut dans le cadre de son plan « Grenoble 2040 ». En effet, pour aller vers cette transition et une économie régénérative, Grenoble a fait le constat de la nécessité de nouveaux indicateurs de mesure et d’évaluation. Leur démarche allie donc visualisation du donut, politique publique et stratégie de résilience. Cet outil permet de travailler avec des indicateurs adaptés à la réalité du territoire, qui est une condition essentielle pour coopérer avec un maximum de partenaires. 

Cette démarche « Grenoble 2040 » a pour ambition de définir un cap lucide vers un futur collectif, désirable et soutenable. Dans cette perspective, le rapport intègre un premier “portrait donut territorial” de la ville, comme dans le cas de Brussels. Grenoble a décidé de dépasser le cadre du développement durable en se tournant vers la théorie et les outils proposés par Kate Raworth qui nécessitent de réintégrer l’économie dans les limites planétaires à travers les principes de circularité et de durabilité forte. 

À travers le cas de Grenoble, on perçoit bien que l’application de cette théorie permet d’opter pour une grille de lecture systémique permettant d'identifier le point de départ nécessaire pour définir de nouvelles trajectoires. Une fois de plus, les indicateurs sont déterminés par les acteurs, territorialisés et adaptés à la ville de Grenoble.

  • Valence Romans Agglo 

Ce territoire expérimente lui aussi cette méthode innovante d’évaluation pour mesurer l’impact global du projet de territoire de la collectivité. L’objectif est alors de mettre en place un outil d’évaluation systémique du projet de territoire tout en prenant en compte les enjeux de développement durable et de solidarités sociales issus de l’Agenda 2030. 

Depuis 2021, une territorialisation de Donut est en cours, afin d’en faire un véritable outil de suivi du projet de territoire, avec une mesure de sa progression d’une année sur l’autre. Ce projet se construit par étape : tout d’abord un travail de mise en œuvre expérimental du Donut appliqué à la Cuisine centrale (opérateur majeur sur le territoire), qui par la suite, pourra être élargi au Projet Alimentaire Territorial (PAT), et enfin potentiellement appliqué à l’ensemble du Projet de territoire. 

Cependant, la question de l’établissement de critères et d’indicateurs d’évaluation clairs et fiables pour mesurer lesdits impacts à court terme reste complexe pour la collectivité. Mais l’application du Donut à l’évaluation des politiques publiques est avant tout une invitation au changement de regard et de paradigme économique. 

Sources

Vidéo : la théorie du donut en 3 minutes

Webinaire : L'économie du Donut, de la théorie à la pratique

Article de Oxfam France

Laboratoire d'actions de l'économie du Donut

Brussels Donut

Grenoble en commun

Le donut territorialisé : Valence Romans Agglo

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Auteur de la page

Alice Prémillieu

Modérateur

Arthur Bonglet

Community manager