[FOCUS] Aplomb 38 et Eco’Mat 38, un centre de formation dédié à l’écoconstruction et une plateforme de réemploi des matériaux

Dernière modification le 15/03/2024 - 11:47
[FOCUS] Aplomb 38 et Eco’Mat 38, un centre de formation dédié à l’écoconstruction et une plateforme de réemploi des matériaux

Afin de réduire la pression sur la ressource sable, une des stratégies est d’éviter son utilisation et de favoriser des techniques de construction basées sur d’autres matériaux abondants et réemployables comme la pierre, le bois, la paille, le chanvre et d’autres matières biosourcées. L’association Aplomb 38 et sa plateforme Eco’Mat 38 forment aux techniques d’écoconstruction et permettent le réemploi de matériaux issus de la déconstruction des bâtiments.

Se former à l’écoconstruction

L’association Aplomb38 a été fondée en 2009 par 6 professionnels du bâtiment qui ont fait le constat du manque de connaissances sur les techniques traditionnelles de construction du patrimoine et des formations liées à celles-ci. Ces compétences permettraient de réhabiliter les bâtiments et de ne pas passer par des étapes de déconstruction/reconstruction.

De plus, les différents corps de métiers de la construction sont organisés en silos ce qui est préjudiciable pour bénéficier d’une construction écologique optimale du fait du manque de discussion et de compréhension entre les corps de métier.

Aplomb 38 mets en place, en 2013, une formation d’ouvrier professionnel en restauration du patrimoine OPRP en se rapprochant de la fédération écoconstruire qui réunissait à l’époque une demi-douzaine de centre de formation professionnelle spécialisés dans les techniques d’écoconstruction en France (et qui aujourd’hui compte 18 membres).

Les anciennes techniques de construction étant fondées sur des matériaux comme le bois, la pierre ou la brique permettent un réemploi facilité donc des méthodes économes en énergie sur leur durée de vie plus longue. Par cette formation, Aplomb 38 veut amener les ouvriers formés à maitriser ces méthodes mais aussi être capable de les appliquer aux matériaux modernes. En 2014, l’association crée sa deuxième formation longue et diplômante (ouvrier.e en écoconstruction) et trouve un équilibre économique qui lui permet d’embaucher des salariés.

Aplomb38 offre maintenant une troisième formation qualifiante de technicien valoriste des ressources du bâtiment. Cette formation a aussi pour but de revaloriser les métiers de la construction en amenant une approche plus transversale et une dimension d’impact environnemental maitrisé. Celle-ci a pour objectif de permettre aux apprenants d’être formés sur toute la filière de réemploi du bâtiment : du diagnostic à la gestion d’un lieu de commercialisation des matériaux. Elle s’adresse notamment aux architectes qui souhaitent créer des structures dédiées au réemploi ou aux personnes souhaitant faire partie de la filière des matériaux de seconde main tout en ayant une vue globale de celle-ci.

La formation se fixe sur 3 axes

  1. Identification et collecte des ressources
  2. Valorisation des matériaux et des ressources
  3. Communication, sensibilisation et conseil auprès des acteurs

Ces référentiels permettent d’obtenir, pour l’instant, des diplômes de niveau baccalauréat et CAP. Aplomb38 souhaite les faire évoluer afin d’atteindre également des niveaux supérieurs.

Les formations d’Aplomb 38 permettent l’apprentissage de techniques de constructions écologiques et alternatives à l’utilisation du sable telle que la construction en ossature bois avec une isolation en paille, laine, chanvre ou une autre matière biosourcée. Les fondations des bâtiments restent cependant en béton armé du fait des obligations réglementaires utilisant toujours une quantité significative de sable.

Construire avec la terre, la pierre et le bois plutôt que le sable

Plusieurs méthodes à considérer en particulier pour éviter la construction basée sur le sable :

 

  1. Le pisé, utilisant uniquement de la terre crue porteuse, pouvant être déconstruit et réutilisé sur d’autres chantiers. Cependant, ici aussi, des freins réglementaires s’appliquent dû à la réglementation parasismique (Eurocode 08) obligeant à mettre en place des chainages bois et des chaînages béton armé au moins dans les fondations. Voir la confédération des constructeurs en terre crue qui fait une recherche sur les entreprises qui portent ses techniques dans la cadre du 4ème programme d’investissement et d’avenir https://conf-terrecrue.org/
  2. La pierre sèche (montée sans mortier), soumise aux mêmes problématiques que le pisé, regroupés dans la fédération française des professionnels de la pierre sèche https://www.professionnels-pierre-seche.com/
  3. Les différents types de construction en bois avec des isolants biosourcés. Depuis l’ossature bois paille avec le réseau français de la construction en paille https://www.rfcp.fr/, jusqu’à des méthodes encore plus éloignées de l’industrie (la charpente de bois vert qui peut utiliser du bois de cueillette pas forcément droit et non planté) avec le réseau pour des alternatives forestières RAF https://www.alternativesforestieres.org/ et l’union compagnonique https://www.lecompagnonnage.com/

Le pisé a de nombreux avantages écologiques car il est constitué de terre compactée qui ne nécessite pas de cuisson ou de broyage, limitant ainsi l’impact énergétique. D’autre part, comparativement au béton armé dont les tiges de métal se corrodent au bout de 150 ans faisant alors éclater le béton, le pisé a une durée de vie de 500 ans. On peut d’ores-et-déjà observer des exemples de bâtiments en pisé en cœur de ville de 5 à 6 étages à Lyon1 et Genève datant du 17ème siècle.

Le pisé amène aussi à une réflexion sur le bâtiment car ce matériau est très peu isolant mais a cependant une grande inertie thermique. Ainsi, afin d’être optimisé énergétiquement, le bâtiment a besoin d’être utilisé en permanence ce qui peut être envisagé dans une logique d’utilisation des espaces et d’optimisation de l’usage des bâtiments.

D’autre part, en additionnant à des méthodes anciennes tels que le mortier de chaux qui favorisent les remontées d’eau par le sol, des systèmes de refroidissement naturels peuvent alors se faire.

L’idée aujourd’hui est de savoir s’il est possible de rénover avec ces techniques les zones urbanisées pour réduire l’utilisation de sable. Aujourd’hui, les formations des ingénieurs commencent à aborder l’ossature bois mais ne prennent pas du tout en compte les techniques anciennes qui pour le moment restent en marge des règlementations parce qu’elles sont difficilement modélisables (pisé, limousinerie et pierre sèche). Les granulométries et la géologie des pierres, les assemblages d’argile ou encore la composition des mortiers sont très variables suivant les terroirs et la résistance des bâtiments anciens aux séismes ne fait pas l’objet de recherches scientifiques qui pourraient re-généraliser ces techniques. Le fait que ces techniques résistent au temps ne suffit pas à convaincre. Et le fait qu’elles aient été construites sans ingénieur avec des matériaux de cueillette intéresse peut-être moins d’éventuels financeurs privés qui espèrent forcément un certain retour sur investissement.

Par ailleurs ces techniques nécessitent un savoir-faire qui n’est plus enseigné non plus dans la formation initiale des artisans. Cette année Aplomb 38 a donc poussé la porte de l’apprentissage qui s’est ouverte récemment à un  plus large panel de centres de formation. Elle forme donc à l’utilisation de techniques basées sur la terre, le bois, la pierre et la chaux, abondantes en région Auvergne-Rhône-Alpes, ainsi qu’à la réutilisation des matériaux alternatifs dans la maçonnerie comme les tuiles de déconstruction devenues trop poreuses, afin de réduire l’utilisation de sable.

La mise en place d’une structure de réemploi

En 2015, l’association souhaite agir directement sur le terrain et réaliser de la collecte de matériaux de construction. Elle commence ainsi à répondre à des appels à projets comportant de la déconstruction grâce à la mise en place de la Responsabilité Elargie du Producteur (REP) du bâtiment2. Ainsi, Aplomb 38 crée alors EcoMat38 qui répond en 2019 en co-portage avec une entreprise de démolition, Eiffage-Chastagner à l’appel d’offre pour la déconstruction de l’hôpital militaire de La Tronche, projet appelé Le cadran solaire.

EcoMat38 déconstruit alors et collecte 500 tonnes de matériaux type meuble, plomberie, toiture et cloison. 300 tonnes de matériaux sont directement revendues sur place et la nouvelle structure investit dans un local pour valoriser les 200 tonnes restantes. Par la suite, EcoMat38 continue la déconstruction d’autres chantiers.

Grâce à cette nouvelle activité, Aplomb38 offre alors un service de la déconstruction jusqu’à la commercialisation des matériaux. En 2020, la pénurie des ressources entrainée notamment par le COVID permet à l’activité de réemploi d’EcoMat38 de se renforcer. Cependant, plusieurs autres structures ont émergé depuis 2018 entrainant une concurrence sur certains chantiers et les appels à projet favorisant le réemploi ne se multiplient pas à la même vitesse. Ces difficultés amènent l’association à devoir se séparer de certains employés à l’hiver 2022 afin de retrouver un équilibre en 2023.

Le réemploi des matériaux du bâtiment, une activité encore pionnière et d’opportunité.

La réutilisation de matériaux modernes est encore une activité pionnière et se fait plutôt en fonction d’opportunités. Par exemple, EcoMat38 a pu récupérer 30 tonnes de panneaux de coffrage d’occasions qui ont été vendus en moins d’une semaine à des entreprises et des particuliers malgré qu’ils soient tordus et que leur revêtement soit abimé. L’association suppose qu’ils ont été utilisés pour d’autres applications que leur utilisation d’origine.

EcoMat38 a aussi eu la possibilité de collecter des fenêtres en bon état suite aux changements de normes du bâtiment. Ces encadrements ont pu être valorisés par des acheteurs étrangers n’ayant pas les mêmes normes qu’en France et dans des projets de revalorisation de bâtiments qui n’ont pas la même règlementation que le neuf.

A l’inverse, certains matériaux comme la plomberie posent davantage de problématiques à la réutilisation car elle peut être fendues rendant son utilisation caduque. Ecomat38 doit alors réaliser tout un travail de test et de reconditionnement entrainant une charge de travail et donc un coût supplémentaire. Une problématique similaire apparait avec les luminaires ou les bardages.

La filière du verre plat et de la laine de verre est aussi très présente et permet d’éviter l’exploitation du sable naturel.

EcoMat38 subit donc un modèle à perte sur la revente des matériaux pour l’instant et a du mal à vendre moins cher que du neuf. Son modèle économique repose sur le paiement de la déconstruction ainsi que sur la traçabilité des matériaux.

Dans le réemploi des matériaux, la structure de revente doit garantir une qualité de ceux-ci. EcoMat38 a donc mis en place des méthodes d’évaluation des différentes qualités des matériaux, notamment pour le bois avec une évaluation visuelle en 12 critères. Tout comme pour la plomberie, ce temps de tri rajoute un coût à la revente des matériaux.

Afin d’aller plus loin et de garantir la réutilisation des matériaux, il serait nécessaire que les bâtiments dessinés par les architectes soient créés en fonction des matériaux de réemploi disponibles. Cependant, les délais de création entrainent une problématique. L’élaboration d’un projet d’architecture peut prendre jusqu’à deux ans, il faudrait donc conserver les matériaux issus du réemploi pour ce projet sur cette durée. Il faut donc un stockage dédié sur cette durée tout en continuant d’accueillir les autres matériaux. Aujourd’hui, EcoMat38 possède un terrain d’un hectare en pente entrainent un manque de place. Une autre piste vise à caractériser les matériaux au plus vite, c’est-à-dire à même le chantier pour une revente sur place.

Des investissements permettraient d’augmenter le stockage en mettant en place des racks hauts par exemple mais la structure de réemploi manque de soutien financier.

Diverses structures cherchent à porter ces nouvelles aspirations auprès des pouvoirs publics, comme la fédération éco-construire ou le Think Tank Encore bâtir ?3 (qui se reconnait dans l’ancien Réseau Eco-Bâtir (1994-2022)), ou encore la confédération des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), certaines ont rempli des missions auprès de la Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP) au sein du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire. Cependant, il n’existe pas de lobby de l’éco-construction à proprement parler. D’autre part, les règlementations se font désormais au niveau européen rendant le dialogue plus complexe.

Aplomb 38 a participé au projet JUMP4 permettant de faire avancer un référentiel commun de l’éco-construction à l’échelle européenne. La France reste cependant un des pays les plus avancés sur ces questions avec la fédération écoconstruire constituée de 18 membres et qui a réalisé un diagnostic sur la demande en formation auprès des entreprises du secteur de la construction dans le cadre du PIA4.


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°27 / septembre 2023

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Auteur de la page

Arthur Bonglet

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