[REGARDS CROISÉS] Créer des territoires et filières alimentaires durables

Témoignage de Dominique Bernier, chargée de mission « Coopération entre acteurs » au sein de Cap Rural, centre de ressources sur les pratiques et les métiers du développement local rural et réseau rural en AuRA.

Un système alimentaire durable, circulaire et résilient favorise une alimentation accessible. Cet article identifie les différents aspects d’un système alimentaire durable et les enjeux induits pour opérer une transition vers une alimentation durable et socialement accessible.

Un système alimentaire peut se définir comme un réseau de collaboration territorial qui intègre la production, la transformation, la distribution, la consommation de produits alimentaires et la gestion des matières résiduelles dans le but d’accroître la santé environnementale, économique et sociale de la collectivité.

Un système alimentaire durable est-il une utopie ou une réalité dans notre société actuelle ?

Dominique Bernier : En Auvergne-Rhône-Alpes, nombre de territoires et d’acteurs s’engagent à travers les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) en faveur des transitions du système alimentaire. Ces démarches volontaristes d’ancrage local de l’alimentation ont été instituées par une loi de 2014. Elles s’inscrivent dans une réflexion globale comprenant les pratiques agricoles et agro-alimentaires, les enjeux environnementaux, l’aménagement du territoire (la préservation du foncier agricole et comment repenser l’urbanisme commercial pour éviter les déserts alimentaires par exemple), l’accessibilité, la nutrition, la santé et la valorisation du patrimoine gastronomique des territoires. Cette perspective de reterritorialisation de l’alimentation qui repose sur la redynamisation des relations entre acteurs au sein d’un territoire est prometteuse. On observe par ailleurs de plus en plus de dynamiques et de coopérations entre territoires urbains et ruraux sur les questions d’ancrage local de l’alimentation et de durabilité.


Source : FAO


L’alimentation durable tend à se développer, mais est-elle accessible pour tous ?

D.B.: L’accessibilité à des produits de qualité, frais et locaux pour les personnes en situation de précarité et de pauvreté est une question de plus en plus prégnante. Une part grandissante d’initiatives s’appuie par exemple sur la lutte anti-gaspillage, le glanage solidaire, la transformation des produits hors calibre afin de valoriser ce qui n’est pas distribuable dans les circuits classiques. Aujourd’hui, les publics précaires sont en premier lieu accompagnés par l’aide alimentaire ; une filière parfois décriée du fait de la faible qualité des produits distribués.


Il existe des dynamiques à réinventer en s'appuyant sur l'économie circulaire et le métabolisme territorial afin d'être plus résilient sur les questions de la fertilisation des sols notamment.

Parmi ces dynamiques, quels sont les liens avec l’économie circulaire ?

D.B.: La valorisation des coproduits de l’agriculture et de l’agroalimentaire ainsi que des rebuts alimentaires sont souvent les premiers éléments cités. Une autre problématique d’économie circulaire de la filière agricole concerne les cycles bio-géo-chimiques reposant aujourd’hui majoritairement sur des engrais de synthèse. L’objectif est de trouver de nouvelles sources pour remplacer ces engrais de synthèse. Parmi les perspectives, des boucles locales qui existaient autrefois, utilisant les rejets de la ville pour amender les ceintures vertes alimentaires qui entouraient les villes. Il existe des dynamiques à réinventer en s’appuyant sur l’économie circulaire et le métabolisme territorial afin d’être plus résilient sur les questions de la fertilisation des sols par exemple.


Les démarches d’économie circulaire peuvent-elles permettre de protéger la biodiversité ?

D.B.: Oui dans la mesure où ces démarches contribuent à protéger les écosystèmes. Le développement des pratiques agro-écologiques ont vocation à préserver les ressources sous toutes leurs formes (eau, air, sols) mais aussi la biodiversité dans son ensemble. Un changement de paradigme doit s’opérer et il est important d’accompagner le monde agricole afin d’opérer des changements de pratiques. Un des grands enjeux porte sur l’effondrement des pollinisateurs. 

Concernant la biodiversité cultivée, l’adaptation des semences à différents environnements pédo-climatiques* est indispensable pour l’avenir. Certains territoires sont précurseurs sur ces sujets, à l’image de la Biovallée dans la Drôme.


Notes :

(*) Relatif au pédoclimat, c'est-à-dire à l'ensemble des conditions de climat auquel est soumis un sol, avec les proportions d'oxygène.


Témoignage de Maud Bouchet, consultante en agroécologie et filières alimentaires durables chez ISARA-conseil

Le monde agroalimentaire est aujourd’hui générateur de nombreuses pollutions alors que c’est
un des secteurs sous pression à cause du changement climatique. Dans cet article, ISARA-conseil nous présente son travail pour transformer les systèmes alimentaires et les rendre plus durables.

Comment définit-on un système alimentaire ?

Maud Bouchet : Du producteur jusqu’au consommateur final, notre alimentation repose sur un ensemble d’étapes et d’acteurs qui est marqué par une grande diversité : d’échelle géographiques et temporelles, de pratiques, de chaînes de valeur, de réglementations… La notion de système alimentaire s’intéresse ainsi aux processus qui participent à la satisfaction des besoins alimentaires et intègre des dimensions techniques, économiques et organisationnelles. 


Comment intégrez-vous la durabilité dans les filières ?

M.B : Les impacts de notre alimentation sont répartis sur l’ensemble des étapes, de la production agricole à la transformation alimentaire jusqu’au consommateur, et de natures diverses : impacts environnementaux (qualité de l’eau, de l’air, émissions de GES, biodiversité…), impacts socio-économiques (valeur économique et culturelle, emplois, santé…). 

Au sein d’ISARA-conseil, nos expertises s’étendent de la parcelle au territoire, ce qui nous permet d’aborder la durabilité des pratiques et des organisations à différents niveaux. 

Par exemple, à l’étape de production des matières premières, nous accompagnons l’évolution des pratiques agricoles (préservation de la fertilité des sols, réduction des intrants, gestion de l’eau, adaptation au changement climatique…). A l’étape de transformation, des projets de certification (RSE) ou d’innovation (conception de nouveaux produits, adaptation des recettes…) avec des industries agroalimentaires s’inscrivent aussi dans cette recherche de durabilité.

Il est aussi intéressant d’aborder les enjeux de l’alimentation durable de manière globale à l’échelle d’un territoire, avec une dimension collective et une véritable co-construction entre les acteurs. C’est le cas, par exemple, lorsque l’on accompagne des projets de structuration de filières dans une logique de relocalisation.


Impacts environnementaux (qualité de l'eau, de l'air, émissions de GES, biodiversité...), impacts socio-économiques (valeur économique et culturelle, emplois, santé...).

Quelles sont les méthodes pour produire durablement ?

M.B : Il n’y a pas de méthode ou de solution unique mais plutôt un ensemble de leviers à mobiliser au cas par cas en fonction des typologies d’exploitations, des contextes pédo-climatiques, des objectifs de l’exploitant, de l’environnement socio-économique… 

Certains modes de production sont normés ou encadrés par une réglementation, comme l’agriculture biologique ou la HVE (Haute Valeur Environnementale), d’autres labels reposent sur des cahiers des charges privés, comme les démarches CRC ou zéro résidus de pesticides. Il existe ainsi une multitude d’initiatives qui contribuent à concilier production agricole et préservation des ressources naturelles. Elles différent par leur dimension individuelle ou collective et par leur degré d’ambition ou d’exigence mais se rejoignent toutes sur un point : la nécessité d’un accompagnement technico-économique des exploitations agricoles pour sécuriser ces étapes de transition agroécologique. 


Avez-vous des exemples de mise en place de démarches de durabilité ?

M.B : Récemment, nous avons travaillé avec un grand groupe agroalimentaire qui a choisi de faire de la biodiversité une de ses priorités. L’entreprise était déjà engagée sur la réduction de l’impact environnemental de son siège social. Ils ont souhaité intégrer des exigences spécifiques de préservation de la biodiversité dans le sourcing de ses matières premières et l’expertise apportée par nos recherches en agronomie nous a permis de consolider le choix des indicateurs dans leur cahier des charges fournisseurs. 

A l’inverse, l’impulsion de création de filières durables peut aussi venir de producteurs qui souhaitent valoriser des pratiques plus vertueuses. Sur ce type de projet impliquant des collaborations de l’amont à l’aval, l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes est essentielle pour inscrire la démarche dans une logique de long terme et de juste répartition des risques et de la valeur. 

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Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°23 / Septembre 2022

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