Regard sur la recherche : les micropolluants médicamenteux hospitaliers en question

Regard sur la recherche : les micropolluants médicamenteux hospitaliers en question

Cet article est issu des ressources documentaires de Rudologia, pôle compétences déchets. Créée en 2002, Rudologia est une association qui réunit tous les acteurs du secteur des déchets et les fédère autour de projets communs. Le nom "Rudologia" est inspirée du mot rudologie, discipline scientifique qui consiste en l'étude des déchets (leur origine, leur conséquence, leur solution de gestion, etc.).

      Rudologia a mené un entretien en 2022 avec Cyrille HARPET, expert en « Analyse du risque en santé environnement travail ». Il conjugue sciences humaines, sociales et ingénierie de l'environnement pour analyser la problématique des impacts et de la gestion des déchets. Ses travaux récents se portent sur la gestion responsable des effluents hospitaliers et résidus issus de médicaments l'ont amené à questionner les limites d'une gestion séparatives des déchets hospitaliers.

Perception et réalité du risque hospitalier

      L’hôpital possède un métabolisme spécifique qui intègre l'achat d'intrants (nourriture, médicaments, matériels…), la prise en charge des patients qui sont nourris et soignés puis le rejet des résidus. Les déchets organiques associés aux activités de soin sont la particularité et le cœur même de l'activité hospitalière. De plus, les biodéchets, les excrétas des usagers se retrouvent dans les eaux usées avec les produits pharmaceutiques ingérés. Certains services sont plus problématiques que d'autres à l'hôpital tel que le bloc opératoire, le service cardio-vasculaire, la pneumologie…).

Les rejets d'hôpitaux sont bien plus concentrés en médicaments en entrée de station d'épuration que les flux provenant d'effluents urbains.  Cependant, le débit des effluents urbains en contient aussi et est 40 fois plus important que celui des effluents hospitaliers.

Ainsi, la dilution avec les effluents urbains permet donc d'abattre le risque. Mais bien que plus dilués, les effluents urbains sont à l'origine d'une plus grande contamination du milieu par les produits médicamenteux.

Des études complémentaires proposées par Benoît ROI, directeur de recherche à Nîmes, visent à comprendre l'impact écologique et sanitaire des " effets cocktails " issus de la combinaison de plusieurs substances pharmaceutiques dans les eaux.

Les axes de prévention

Ici sont évoqués les moyens de prévention des déchets hospitaliers dans le champ de l’assainissement.

5 axes de prévention des pollutions sont identifiés :

  • L’activité de soin intègre une partie approvisionnement. Un premier levier se situe au niveau de la commande publique hospitalière. Le Shift Project rappelle qu’un point clé de la transition dans le domaine de la santé est celui des achats d'équipements médicaux et de médicaments. Le bilan carbone de la santé est alourdi par les médicaments. En application du pilier " Approvisionnement durable " de l'économie circulaire, certains établissements hospitaliers en France commencent à appliquer une logique d'achat durable.
  • Le médecin traitant a une responsabilité importante. Il pourrait réaliser une prescription ayant un moindre impact environnemental. Par exemple la Suède a créé un indice d'impact des médicaments sur l'environnement (Indice PBT) et constitué un guide des produits pharmaceutiques à moindre impact environnemental à destination des prescripteurs.
  • D'autres actions d'éco-prescription peuvent être mise en œuvre par le médecin : le choix du dosage, le choix de la molécule. La prescription à l'unité plutôt que la boîte entière pour réduire la quantité de médicaments non utilisés.
  • Le patient joue un rôle dans son mode de consommation des médicaments. Par exemple, il est favorable d’inciter les patients à éviter d'acheter de nombreuses boîtes d'avance car cela conduit à la préemption de boîte superflues
  • Enfin, le dernier axe est en rapport avec le traitement des excrétas hospitaliers. Une expérimentation en Suisse et au Pays-Bas questionne le bienfondé environnemental et économique de la séparation systématique des déchets hospitaliers et ménagers, ainsi que la distinction traditionnelle entre déchets solides et effluents liquides.

Traitement des déchets hospitaliers : vers un décloisonnement entre déchets solides et résidus d’assainissement

En réfléchissant aux modalités les plus efficientes de traitement des résidus des hôpitaux, on pourrait remettre en cause le bienfondé du principe de « séparation » entre déchets solides et effluents liquides.

Après avoir administré le médicament, ce dernier sera excrété par le patient. La question est comment gérer au mieux la charge médicamenteuse polluante issue des excrétas ?

  • L'assainissement par gestion séparée des eaux usées : Proposition de concentrer les effluents hospitaliers dans un exutoire dédié. Ces infrastructures représentent un coût d'investissement significatif avec engagement des entreprises pharmaceutiques à le co-financer.
  • L'assainissement par mélange avec les effluents urbains : les excrétas rejoignent les effluents liquides (eaux usées) de l'hôpital puis le réseau d'assainissement collectif avant d'être traités en station d'épuration en mélange avec les effluents urbains. Exemple du projet SIPIBEL-RILACT sur le site pilote de Bellecombe (Haute-Savoie) pendant 10 ans.
  • Les modes de traitement novateurs expérimentaux qui atténuent les limites entre traitement des déchets solides et assainissement. Ces méthodes expérimentales de traitement des déchets hospitaliers ont été essayé aux Pays-Bas où une approche globale "déchets organiques" a été privilégiée, levant les frontières entre traitement des déchets solides et assainissement.

Les premières analyses semblent démontrer une certaine efficacité technique et une valeur ajoutée économique de ce traitement expérimental. Dans un contexte de pénurie énergétique, la valorisation énergétique locale des déchets organiques de toute provenance pourrait être intéressante. Une ingénierie de la « bio-élimination » appliquée à ces déchets en mélange reste à développer et à mobiliser.

Les résultats environnementaux de cette méthode font l’objet de recherches et doivent être précisés. Des recherches complémentaires doivent être menées. Cette technique a le mérite de questionner le postulat selon lequel la collecte séparative est toujours optimale. Pour certaines catégorie de déchets, l’approche en mélange pourrait-elle regagner une légitimité ?

Sources

Rudologia, entretien avec Cyrille HARPET

https://www.rudologia.fr/medias/20230821-Article-Entretien-Cyrille-HARPET-1.pdf

https://www.rudologia.fr/medias/20230821-Article-Entretien-Cyrille-HARPET-2_2.pdf

https://www.rudologia.fr/medias/20230821-Article-Entretien-Cyrille-HARPET-3.pdf

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Auteur de la page

Alice Prémillieu