Partie 1 - Contexte de l’économie des ressources au cœur de la valorisation du patrimoine bâti

La région Auvergne-Rhône-Alpes émet chaque année 51.7 millions de tonnes équivalent CO2 de gaz à effet de serre (GES), dont 70% sont d’origine énergétique. Dans le secteur bâtiment, bien que les émissions de GES soient en recul de 21% depuis 1990 en Auvergne-Rhône-Alpes, avec une diminution marquée entre 2018 et 2019 (-9% pour le résidentiel et -7% pour le tertiaire), elles représentent encore chaque année plus de 11.7 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit un peu moins du quart des émissions régionales [1], faisant ainsi du secteur du bâtiment l’un des axes majeurs de décarbonation du territoire et de lutte contre le réchauffement climatique.

Sur le plan énergétique, le secteur du bâtiment constitue environ 25% de l’empreinte régionale avec une consommation énergétique annuelle de 91.4 TWh (résidentiel et tertiaire cumulés), soit 0.95 tonne équivalent pétrole par an et par habitant (Bilan Annuel 2021 CERC ARA). Bien que la consommation énergétique du secteur résidentiel affiche une légère baisse de 2.1% en Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2010, celle-ci reste encore loin de l’objectif de réduction de 23% prévu entre 2015 et 2030 par la région (49.5 TWh prévu en 2030 contre 62.8 TWh en 2019). Cette consommation énergétique élevée peut notamment s’expliquer par le pourcentage relativement important de passoires thermiques encore présentes sur le territoire (18%), qui génèrent une part d’énergie dédiée au chauffage non négligeable (61% du total en 2019), et qui vient s’associer à des disparités énergétiques départementales importantes (jusqu’à un facteur 12). L’atteinte des objectifs fixés ne pourra être réalisée qu’au travers de l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments neufs et existants présents sur le territoire auvergnat-rhônalpin.

Sur le plan des déchets, le secteur du bâtiment génère 13% de la production nationale de déchets en France, soit 46 millions de tonnes de déchets par an [2]. Sur ce gisement, 49 % provient de la démolition, 38 % de la réhabilitation, et 13 % de la construction neuve. Le taux global de valorisation de ces déchets varie, selon les sources, de 48 à 64 %, avec une forte dépendance de la typologie de déchets (60 à 70 % pour les déchets inerte et 30 à 50 % pour les déchets non dangereux non inertes) et de l’activité (60 à 80 % pour la démolition, 40 à 60 % pour la construction neuve, et seulement 10 à 30 % pour la réhabilitation). Ainsi, avec 17.5 millions de tonnes de déchets générés au niveau national et un taux de valorisation maximal de 30%, la marge de progression du secteur de la réhabilitation dans l’économie de ressource matière est importante, offrant de belles perspectives pour le développement de la circularité du secteur.

Que ce soit au niveau des émissions de GES, de l’énergie, ou de la matière, le potentiel d’évolution de l’économie de ressources dans le secteur du bâtiment est significatif en Auvergne-Rhône-Alpes, faisant ainsi de ce secteur une véritable opportunité pour l’amélioration de l’empreinte énergétique, carbonée, et environnementale de la région. Cette opportunité peut être mise à profit dans le cadre de la valorisation du patrimoine bâti régional. Rendre le secteur du bâtiment plus sobre sur le plan énergétique, carboné, et environnemental à l’échelle du territoire nécessite de rénover massivement le patrimoine bâti existant, en favorisant notamment le réemploi local de matériaux, en améliorant l’isolation thermique des bâtiments résidentiels et tertiaires, et en réduisant la production de déchets, tout en améliorant leur traçabilité et leur taux de recyclage.

Cette opportunité est aujourd’hui favorisée par les législations nationales et européennes en faveur de la construction durable et de l’économie circulaire, par l’appui des politiques territoriales régionales, mais également contrainte par les pénuries de ressources ainsi que les crises énergétiques et climatiques mondiales actuelles.

L’économie de ressources dans le secteur du bâtiment devient donc un enjeu majeur de la valorisation du patrimoine bâti, qui requiert à la fois un engagement fort de l’ensemble des acteurs de la filière bâtiment ainsi qu’une sensibilisation accrue des élus sur ce sujet. Cette fiche technique, co-réalisée grâce à la participation d’Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement, de la société Batirim, du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, de Grenoble Alpes Métropole, et de Ville & Aménagement Durable, a pour objectif de fournir à l’ensemble des parties prenantes du secteur du bâtiment les enseignements accumulés lors de la réalisation d’initiatives récentes sur le territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

1.1 Définitions

Patrimoine bâti : Le patrimoine bâti comprend l’ensemble des biens présentant une valeur patrimoniale dont il s’agit de garantir la pérennité. Selon l’approche traditionnelle, aujourd’hui encore dominante, le patrimoine bâti s’identifie aux monuments remarquables (châteaux, églises, places, jardins, etc.), à l’architecture vernaculaire et industrielle, ainsi qu’au patrimoine populaire (répertoire d’objets singuliers et autonomes auxquels s’appliquent les outils de protection, d’entretien, de conservation, et de restauration).

Déchets du BTP : Les déchets du BTP ou déchets de construction, ou déchets du bâtiment et des travaux publics, désignent tout déchet provenant du secteur du bâtiment et des travaux publics et issu de travaux de déconstruction, de réhabilitation, et de démolition de bâtiments. Ce terme englobe les déchets inertes, les déchets non dangereux et non inertes, et les déchets dangereux, qui possèdent chacun une réglementation différente.

Prévention : Toute mesure permettant de réduire la quantité de déchets produits et/ou leur dangerosité en intervenant à la fois sur les modes de production et de consommation des produits. Dans le cadre d’une rénovation/réhabilitation dans le secteur du bâtiment, cela passe notamment par la conservation des éléments de bâti.

Réemploi : Le réemploi désigne toute opération par laquelle des substances, matières ou produits, qui ne sont pas des déchets, sont utilisés de nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus.

Réutilisation : La réutilisation désigne toute opération par laquelle des substances, matières ou produits, qui sont devenus des déchets, sont utilisés de nouveau.

Recyclage : Le recyclage consiste en toute opération de valorisation par laquelle les déchets, y compris les déchets organiques, sont retraités en substances, matières ou produits aux fins de leur fonction initiale ou à d'autres fins (article L. 541-1-1 du code de l’environnement). Le recyclage permet de substituer des substances, des matières, ou des produits à d’autres substances, matières, ou produits.

Ressource : Le terme ressource désigne premièrement la mise en valeur d’un capital, dit naturel (ressources minérales, énergétiques, ressources en eau, ressources forestières, etc. mais aussi avantages de localisation) ou encore matériel (machines, etc.), exploité par une société donnée à un moment donné dans le but de créer des richesses. Le terme ressource a ensuite été étendu à des biens immatériels, les capitaux par exemple (ressources financières), ou les ressources humaines (capacités de travail, d'innovation, etc.). La question du mode de mise en valeur et d’utilisation des ressources est indissociable de la nature des ressources elles-mêmes.

Diagnostic PEMD : Avant une démolition, une rénovation, ou une réhabilitation significative d’un bâtiment, le diagnostic Produits, Equipements, Matériaux, Déchets (PEMD) doit être mené par un professionnel de la construction, indépendant du maître d’ouvrage ou des entreprises de démolition. Il établit une distinction entre les produits (ainsi que les équipements et matériaux) susceptibles d’être réemployés et les déchets qui devront être traités dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement (voir loi AGEC dans la section suivante pour plus d’informations).

1.2 Contexte réglementaire

La directive européenne 2010/31/UE du 19 mai 2010 vise à améliorer la performance énergétique des bâtiments dans l’Union européenne (UE). Elle fixe des exigences minimales et un cadre commun pour le calcul de la performance énergétique. En 2018, la directive 2010/31/UE a été modifiée par la directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 Mai 2018 dont l’objectif visait à accélérer la rénovation rentable des bâtiments existants et à y promouvoir des technologies intelligentes.

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte vise à agir pour le climat, en fixant à la France des objectifs chiffrés et des moyens d’action pour mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu plusieurs dispositions fortes en faveur du recyclage des déchets du BTP afin de créer un environnement favorable au développement de la valorisation de ces déchets :

  • 50 % des matériaux utilisés par l’État et les collectivités pour les chantiers de construction routiers devront être issus de la réutilisation ou du recyclage de déchets du BTP en 2017, 60 % en 2020.
  • La mise en place d’un réseau de déchèteries professionnelles du BTP via une obligation, pour les distributeurs de matériaux, produits et équipements de construction, d’organiser auprès des professionnels la reprise des déchets issus des mêmes types de matériaux qu’ils vendent.
  • L’encadrement des aménagements réalisés à l’aide de déchets à travers lequel les aménageurs devront justifier aux autorités la nature des déchets utilisés et prouver que leurs travaux constituent une valorisation de déchets, et non une élimination.

La loi n°2020-105 du 10 Février 2020 relative à lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité, et le climat. Appliquée au BTP, la loi AGEC vise notamment à limiter le gaspillage de matériaux et à favoriser l’économie circulaire dans sa globalité (en réduisant les déchets et en favorisant le recyclage, le réemploi et la réutilisation des matériaux et produits), elle repose sur plusieurs leviers, dont notamment :

  • La mise en place d’une filière de Responsabilité Élargie du Producteur (REP) pour les acteurs du bâtiment, avec des objectifs de réemploi et réutilisation de 2% en 2024 et 5% en 2027, de taux de collecte et de recyclage de 45% en 2027, et de taux de collecte et valorisation de 90% en 2027.
  • La lutte contre les dépôts sauvages de déchets.
  • La réalisation par le maître d'ouvrage d’un diagnostic relatif à la gestion des produits, équipements, matériaux et déchets (PEMD) lors de travaux de démolition ou de réhabilitation significative de bâtiments complétée par la traçabilité avec le CERFA (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs) de diagnostic et le CERFA de récolement.

Le décret n° 2021-950 du 16 juillet 2021 relatif au tri des déchets de papier, de métal, de plastique, de verre, de textiles, de bois, de fraction minérale et de plâtre (7 flux) qui étend, pour les déchets de construction et de démolition, l'obligation de tri 5 flux aux déchets de fraction minérale et aux déchets de plâtre (7 flux), et définit les modalités de dérogation à cette obligation.

Sur le plan énergétique, les bâtiments existants sont également soumis à trois réglementations thermiques qui encadrent leurs caractéristiques thermiques et fixent les quantités maximales d’énergie qu’un bâtiment existant peut consommer : une dite « par élément », pour les bâtiments de moins de 1000 m² ou de plus de 1000 m2 (sous certaines conditions), une dite « globale », pour les bâtiments de plus de 1000 m², et une dite de « travaux embarqués », à l’occasion de travaux importants de rénovation des bâtiments.

Issu de la Loi Elan, le Décret tertiaire ou dispositif éco-énergie tertiaire publié en juillet 2019, impose aux propriétaires et occupants de bâtiments à usage tertiaire privé, collectivités locales, services de l'Etat, professionnels du bâtiment, maîtres d'ouvrage, maîtres d'œuvre, bureaux d'études thermiques, sociétés d'exploitation, gestionnaires immobiliers, et gestionnaires de réseau de distribution d'énergie de mettre en œuvre des actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans les bâtiments existants à usage tertiaire afin de parvenir à une réduction de la consommation d'énergie finale pour l'ensemble des bâtiments soumis à l'obligation d'au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010.

1.3 Chiffres clés en région AURA

  • 81 400 établissements et 145 600 salariés de la filière bâtiment
  • 9.1 Mds€ de chiffres d’affaires en entretien-rénovation
  • 62 808 GWh et 29 575 GWh : consommation énergétique du secteur résidentiel et du secteur tertiaire en 2019 [3], respectivement
  • 18% des locaux assujettis au dispositif Eco Energie Tertiaire représentent 65% de la consommation énergétique du secteur [4]
  • 56 852 dossiers MaPrimeRenov’ engagés à la fin du T3 2022
  • 18% de passoires énergétiques [5] sur le territoire
  • 27 Mt de déchets du BTP (90% déchets inertes, 8% déchets non dangereux, 2% déchets dangereux)
  • 88% et 62 % : taux de performance et de recyclage des déchets inertes du BTP[6] respectivement

 



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