Partie 2 - Construire des solutions alternatives en s’inspirant des démarches des acteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes (2/2)

2.2 Les enseignements 

2.2.1 Les facteurs d’accélération existants sur le territoire

L’économie des ressources au sein de la valorisation du patrimoine bâti bénéficie aujourd’hui de nombreux facteurs d’accélération qui sont autant d’opportunités pour le développement de la pratique de l’économie de ressources au sein de la filière du bâtiment, notamment :

  • Un écosystème sensibilisé aux enjeux environnementaux actuels (matière, énergie, eau, sol) par l’existence d’outils dédiés et la présence d’acteurs associatifs et publics du territoire (ADEME, Ville & Aménagement Durable, Agences Locales de l’Energie et du Climat, Conseil d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement, CIRIDD, cluster Eco-bâtiment, etc.). La Fédération Française du Bâtiment, a par exemple créé en partenariat avec l’ADEME, des kits d’animation « Quarts d’heure environnement » qui permet de d’organiser et d’animer un rdv régulier pour sensibiliser les équipes des acteurs de la filière aux enjeux environnementaux du bâtiment. La plateforme MOOC Bâtiment Durable propose également de nombreuses formations en ligne sur les enjeux énergétiques et environnementaux du secteur. Le CIRIDD, à travers sa plateforme d’économie circulaire en région Auvergne-Rhône-Alpes ECLAIRA, fournit également des ressources documentaires, des retours d’expérience terrains géolocalisés, un annuaire d’organisations référencées en région, et de nombreux outils sur les enjeux d’économie circulaire et de développement durable dans le secteur du bâtiment. La plateforme collaborative d’acteurs DEMOCLES, lancée fin 2014 à l’initiative de l’éco-organisme Ecosystem, permet quant à elle d’améliorer les pratiques en matière de prévention et de gestion de déchets du second œuvre issus de chantiers de réhabilitation lourde et de démolition. Elle réunit aujourd’hui de nombreux partenaires représentatifs de la maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre, des entreprises de travaux, des gestionnaires de déchets et des filières de valorisation, et développe des outils pratiques et harmonisés, pour une gestion des déchets de chantier plus simple et respectueuse de la réglementation et de l’environnement. Initié en 2019 par l’Etat, la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’ADEME, et la Banque des Territoires, le Centre de ressources régional pour la rénovation énergétique des bâtiments tertiaires a pour objectif de mettre à disposition l’information disponible et les outils existants, créer du lien, favoriser l’échange d’expérience entre les accompagnateurs de la rénovation énergétique des bâtiments. Dans ce cadre, le Centre de ressources propose des webinaires d’information trimestriels à l’attention des parties prenantes du territoire, des ateliers techniques à destination des accompagnateurs territoriaux de la rénovation énergétique, des réunions régionales annuelles pour amplifier les dynamiques locales et des informations ciblées pour une mise en œuvre concrète d’actions pour la rénovation du patrimoine public. Enfin, le site internet Centre de Ressources pour les Territoires en Transition d’Auvergne-Rhône-Alpes recense les événements régionaux, les actualités des territoires, les initiatives et portraits de territoires, une médiathèque, ainsi que des outils et des données à destination des territoires engagés dans la transition énergétique.
  • Un contexte réglementaire local, national, et international propice grâce aux réglementations, décrets, et lois françaises ainsi qu’aux directives européennes votées depuis 2010 en faveur de l’économie circulaire et du développement durable (voir section 1.2).
  • Une volonté et un engagement politique national et européen en faveur de l’économie de ressources matières, énergétiques, et environnementales des territoires. Au niveau national, plusieurs institutions au sein du ministère de la Culture (Institut National du Patrimoine, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, etc.) se sont saisies de la problématique du développement durable dans le cadre du patrimoine. Au niveau européen, les Journées Européennes du Patrimoine ont eu à cœur en Septembre 2022 de souligner auprès du public la dimension environnementale et durable de la conservation du patrimoine par la réflexion sur les pratiques, la conservation et l’optimisation des savoir-faire, le réemploi et l’utilisation de matériaux naturels, la valorisation du patrimoine immatériel, le développement économique et touristique des territoires, la dynamisation des centres anciens, la réflexion sur les conditions du vivre ensemble, etc.
  • Bien qu’inégale suivant les territoires, une demande des collectivités et entreprises du secteur tertiaire existante sur des projets de réemploi dans le secteur du bâtiment, notamment impulsée par la Loi AGEC de Février 2020 qui institue que les collectivités et leurs regroupements doivent entre autres, aménager des espaces dédiés aux produits réemployables au sein de leur déchèterie et permettre aux entreprises de l’économie sociale et solidaire qui en font la demande d’utiliser ces déchèteries comme lieu de récupération et de retraitement de ces objets. Ainsi, l’enjeu pour les collectivités gestionnaires des déchèteries, repose sur la capacité à transformer les déchèteries en lieux privilégiés non plus de collecte uniquement pour le recyclage et l’élimination de déchets, mais de collecte de biens des usagers du territoire en vue d’un réemploi ou d’une réutilisation, le tout dans une logique d’économie circulaire.
  • Une pénurie de matières premières vierges et une augmentation de leur prix. Les entreprises du BTP font face depuis 2022 à une pénurie de matériaux de construction, particulièrement au sein de la filière bois, avec des fluctuations de prix entre 20 et 110%, préoccupantes pour les TPE/PME du secteur. A celle du bois, s’ajoute également la pression croissante sur la disponibilité du sable qui s’est drastiquement accentuée au cours des dernières décennies du fait de l’urbanisation des pays émergents et de l’explosion démographique mondiale. Le réemploi devient de plus en plus une nécessité, si ce n’est une obligation, pour réduire les contraintes sur les ressources naturelles de notre planète.
  • Une gestion de déchets de chantier qui devient une économie de coûts lorsqu’ils sont utilisés en tant que ressources. L’économie circulaire dans le secteur du bâtiment permet en effet de réduire l’empreinte carbone en participant à la diminution de la production de nouveaux matériaux de construction, de ne plus surcharger les sites d’enfouissement, de diminuer les dépenses de chantier associées à l’achat de nouveaux matériaux ou outils, de réduire les frais d’élimination, et de faire de l’engagement écologique un argument auprès de clients et prospects.
  • Une hausse croissante et contraignante de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) qui devrait passer, selon l’association AMORCE, à 25€ la tonne en 2025 pour l’incinération et à 65€ la tonne pour l’enfouissement, soit un triplement par rapport à 2019.
  • Une crise énergétique et climatique mondiale qui contraint les écosystèmes industriels à modifier leurs modèles économiques et à innover en intégrant des stratégies d’économie circulaire efficientes tout en étant économiquement viables. L’économie de ressources lors de chantiers de rénovation/réhabilitation permet d’éviter des émissions de gaz à effet de serre parfois importantes et participe à la décarbonation de la filière du bâtiment.

2.2.2 Les pistes d’évolution à mettre en place sur le territoire

Grâce à ce contexte propice, les initiatives d’économie de ressources lors de chantiers de valorisation bâti se multiplient sur le territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes (voir section 2.1). Cependant, de nombreux freins empêchent encore leur duplication systématique et leur généralisation à d’autres territoires, et ce, que les économies de ressources soient environnementales, matières [1], ou énergétiques. Au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’essor de l’économie de ressources dans la valorisation du patrimoine bâti requiert une véritable évolution de l’ensemble de la filière que peuvent permettre la mise en place d’actions locales ciblées :

Ainsi, l’acculturation et la sensibilisation générale de l’ensemble des acteurs (maîtres d’œuvres, entreprises de travaux et industriels du bâtiment, institution d’enseignement et de formation, assurances, administratifs, et politiques) sur ces sujets est nécessaire au déploiement efficace de la démarche d’économie de ressources dans le cadre de la valorisation du patrimoine bâti. Pour l’encourager, il est important de pouvoir expérimenter, prouver, et surtout communiquer à l’ensemble des acteurs de la filière, ainsi qu’au citoyen lambda, de l’efficience de la démarche et des externalités positives mesurables engendrées en termes économiques, sociales, et environnementales.

Plusieurs démarches inspirantes existent sur le territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Ville & Aménagement Durable (VAD) a par exemple accompagné la Direction Départementale Des Territoires du Rhône sur l’organisation d’une journée sur la stratégie Eau-Air-Sol en Juillet 2022 à destination d’une cinquantaine d’élus dans le Nord-Ouest du Département du Rhône. VAD coorganise également, aux côtés de 10 autres associations, le Off du Développement Durable qui vise à donner de la lisibilité à des projets pionniers, d’avant-garde, frugaux, qui ont mis en œuvre avec une forte ambition les solutions architecturales, techniques ou d’usage anticipant le contexte futur. L’action collective Réemploi, qui réunit une centaine de membres, permet également à VAD de produire des outils et des retours d’expériences pour accompagner la filière. En complément, VAD co-anime le Booster du Réemploi en Auvergne-Rhône-Alpes, dans le but d’accompagner des maîtres d’ouvrage à l’intégration de matériaux de réemploi de leurs opérations. De son côté, la métropole de Grenoble prépare un guide de la construction durable dans le cadre de son Plan d’Administration Exemplaire, démarche de capitalisation des facteurs de succès des projets menés sur son territoire (projet du cadran solaire, de la Zone d’Activités Économiques des Peupliers ou encore de la rénovation du Forum) afin d’établir un référentiel permettant la généralisation des procédures et méthodes réussies. AURA-EE, par sa participation au projet européen CONDEREFF, vise à faire progresser les politiques publiques, l’investissement et l’innovation pour une meilleure gestion régionale des déchets du BTP. Plusieurs ateliers ont été organisés dans ce cadre, traitant de la gestion et de la valorisation des déchets du BTP ou encore de la conception préventive et du réemploi des matériaux des bâtiments. Un guide sur la valorisation des déchets et le réemploi dans les marchés publics a d’ailleurs été édité en mars 2022. AURA EE anime par ailleurs le réseau régional RREDD espace d'échanges, de mutualisation d'expériences et de formation en faveur de la mise en pratique des clauses environnementales et sociales dans la commande publique. Enfin, le CSTB accompagne les acteurs du secteur du bâtiment via une démarche d’appréciation technique d’expérimentation (ATEx) qui permet des premiers retours d'expérience sur la mise en œuvre de produits ou procédés en préalable à un avis technique et permet également de valider des conceptions innovantes. L’acculturation peut également se réaliser par le biais de formation en économie circulaire (BATIRIM, CTSB, Labo’Cert) ou directement auprès du maître d’œuvre via des comparatifs entre les estimations d’économie de ressources réalisées par le diagnostic PEMD et l’économie de ressources effectivement réalisée durant le chantier (exemple du chantier TDF Lambersart avec une différence de 200 tonnes sur une estimation de 6000 tonnes).

La formation et la sécurisation des nouveaux métiers du bâtiment durable (diagnostiqueurs PEMD et certificateurs notamment) sont également cruciales pour répondre à la demande croissante des collectivités et des maîtrises d’ouvrage publiques et privées sur ce secteur. Ces nouveaux profils sont en effet complexes à dénicher car ils requièrent des compétences transversales élargies et pâtissent d’un manque de communication et de mise en réseau à différentes échelles territoriales. De plus, l’absence de clarification sur leurs rôles, emplacements, et fonctions exactes sur la chaîne de valeur, l’ambiguïté sur les définitions des diagnostics co-existant (PEMD versus ressources), associées à des retards sur le CERFA, nuisent pour l’instant à l’avènement et à la généralisation de ces professions émergentes et entraînent également des distorsions de concurrence entre acteurs de la filière du bâtiment. La résolution de ces problématiques, notamment au niveau réglementaire, est pourtant nécessaire pour la sécurisation et la pérennisation de ces nouveaux métiers qui constituent une véritable opportunité de renaissance et de remotivation de l’ensemble des acteurs d’une filière déjà marquée par une crise majeure de recrutement. Elle est également primordiale car les acteurs de la filière (artisans, ingénieurs, etc.) ne sont, à l’heure actuelle, pas en capacité de répondre au volume de réemploi nécessaire pour atteindre les objectifs ambitieux que se sont fixé les territoires.

La généralisation de la mise en place de la traçabilité des différents gisements de déchets et produits, et la mise à disposition de guides méthodologiques et bonnes pratiques de la dépose sont également des facteurs clés pour améliorer la mise en œuvre du réemploi. En effet, être capable d’identifier les performances techniques, les domaines d’emplois initiaux, et les substances dangereuses potentiellement contenues dans les produits et matériaux de construction au moment de la dépose, permet d’améliorer le potentiel de réemploi d’un gisement. En outre, l’élaboration de guides méthodologiques, proposant les étapes détaillées (dépose, stockage, reconditionnement) à suivre, permet de diagnostiquer et d’évaluer les performances techniques des produits en vue de leur réemploi. Ces guides, n’existant aujourd’hui que partiellement sur certaines familles de produits, permettraient à terme d’encadrer et de généraliser les bonnes pratiques du réemploi, permettant ainsi de rassurer les assureurs et les bureaux de contrôle et ainsi d’améliorer l’assurabilité des matériaux réemployés, actuel verrou à lever pour la massification du réemploi.

La prescription et la mise en place de solutions de stockage des matériaux à destination du réemploi sont des enjeux importants pour la généralisation du réemploi de ressources matières dans la valorisation du patrimoine bâti. Concernant le premier volet, un guide de stratégies de prescription a été produit par Rotor et Bellastock dans le cadre du projet Interreg FCRBE (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Eléments) et publié en Février 2022 dans le but de faciliter l’intégration du réemploi dans les projets de grande échelle et les marchés publics. Ce type d’initiative, qui permet de fournir un outil didactique s’adressant en priorité aux maîtres d’ouvrage, pourrait être reproduit pour des projets immobiliers dans d’autres contextes que ceux des marchés publics. Concernant le second volet, les matériauthèques, ou recyclerie de matériaux, et autres plateformes de recyclage jouent un rôle majeur dans la mise à disposition de ces matériaux au plus grand nombre. Or ces structures peinent encore à trouver des modèles socio-économiques viables car elles nécessitent de très grandes surfaces de stockage, facilement accessibles à un maximum d’acteurs, tout en ayant une charge foncière ou locative relativement basse, afin de pouvoir être rentables et pérennes et permettre à terme leur autonomisation. Quelques matériauthèques sont actuellement en phase d’expérimentation ou d’émergence sur le territoire AURA, dont la Matériauthèque à Chambéry portée par le collectif Enfin ! Réemploi (les Chantiers Valoristes, Nantet Locabennes, Trialp, ENSAM et Kayak architecture) et principalement orientée vers la filière de réemploi du bois grâce à une menuiserie dédiée. Le partage d’expérience de ces nouvelles structures avec les acteurs de la filière permettrait d’en favoriser leur essor sur le territoire. C’est ainsi l’enjeu du réseau régional de matériauthèques MAT’AURA, animé depuis 2021 par la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire d’Auvergne-Rhône-Alpes (CRESS AURA), qui a pour but notamment de partager des outils et de mailler l’ensemble du territoire AURA. Une solution aux aspects économiques pourrait consister en la mutualisation de plateformes centralisées sur les territoires en permettant l’accès simultané de plusieurs chantiers aux plateformes mais celle-ci nécessite cependant une identification précise des projets d’aménagement du territoire en amont.

Le maintien et l’accessibilité à des dispositifs de financement adaptés, notamment régionaux, permettent d’engager sur le territoire AURA l’expérimentation de l’innovation sur des produits et matériaux ciblés, et de tester la réplicabilité des innovations et modèles économiques déjà mis en œuvre sur d’autres territoires. L’accès au financement public pour l’innovation permet en effet aux entreprises de prioriser leurs axes de recherche et de développement et de limiter leurs prises de risques dans leurs investissements. En effet, certains industriels ont parfois malheureusement tendance à plutôt s’orienter vers le recyclage que vers le réemploi, notamment pour des questions de communication, de marketing, et d’investissement. C’est ainsi un vrai changement de mentalité des acteurs industriels de la filière qui est nécessaire pour prendre conscience des bénéfices et de la valeur ajoutée de la pratique du réemploi. Il est également important de rappeler à l’ensemble des acteurs de la filière l’existence du contrat (ou partenariat) d’innovation entre les collectivités et les entreprises qui permet de soutenir les entreprises régionales qui souhaitent développer un projet d’innovation, qu’il soit individuel ou collaboratif. Ce dispositif ne se limite pas à l’innovation technologique mais comprend également l’innovation de procédé, d’organisation, et l’innovation sociale. Les collectivités ont également la capacité d’actionner de l’expérimentation sur leur territoire sans utiliser d’appel d’offres dédiés jusqu’à un montant de 40k€. Ce type d’actions présente l’avantage de tester la capacité de réemploi de certains produits ou familles de produits à l’échelle d’un chantier préalablement choisi et peut agir comme véritable levier pour une expérimentation ultérieure plus globale.

Enfin, l’amélioration de la vision territoriale de l’aménagement permettrait d’améliorer la circularité de la filière à l’échelle territoriale. En effet, une analyse des flux de déchets du bâtiment à l’échelle d’une (ou de plusieurs) collectivité(s) permettrait d’identifier et d’anticiper les besoins en développement des filières de valorisation de déchets en la comparant au dimensionnement des filières de valorisation de déchets existantes et à la future demande en construction du territoire.


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