[REGARDS CROISÉS] L’éco-conception et le design au service de l’usage

[REGARDS CROISÉS] L’éco-conception et le design au service de l’usage

Témoignage de Samuel Mayer, directeur du Pôle national Éco-conception et performance du cycle de vie.

Le Pôle Éco-conception est une association d’industriels qui accompagne les organisations afin d’augmenter leur performance et créer de la valeur par la pensée en cycle de vie tout en diminuant les impacts environnementaux. Retour sur les enjeux et les perspectives du développement de l’éco-conception.

Qu’est-ce que l’éco-conception ?

S.M. : L’éco-conception, c’est la prise en compte de l’environnement dès les premières phases de développement de produits ou de services avec une vision sur le cycle de vie complet : de l’extraction des matières premières et de l’énergie à la gestion de la fin de vie, en passant par les transports, la transformation et la fabrication de biens, l’emballage, la logistique et enfin l’utilisation. L’objectif est de diminuer l’empreinte environnementale des activités humaines en agissant sur l’utilisation efficace des ressources et sur les impacts générés. des activités à partir des outils adaptés au contexte des entreprises. Il s’agit de prendre en compte les éléments clés du changement dans les pratiques managériales de l’organisation, à savoir le contexte, les risques et opportunités, le leadership et la performance dans une perspective d’amélioration continue des impacts environnementaux.


Comment prendre en compte le cycle de vie du produit ?

S.M. : Les démarches d’éco-conception s’articulent en six étapes clés :

1) Identification des enjeux de l’entreprise par rapport au produit : définition d’une politique d’éco-conception, c’est-à-dire des enjeux environnementaux clés pour l’organisation, du business model envisagé, du positionnement stratégique de l’entreprise… ;

2) Évaluation du produit ou du marché de référence : observation des facteurs environnementaux cruciaux en termes d’impact, traduction et identification des points-clés à travailler, en fonction du positionnement stratégique ;

3) Recherche des pistes d’éco-conception ;

4) Aide à la décision : arbitrage d’un compromis entre les objectifs de base et la solution qui sera mise sur le marché ;

5) Évaluation environnementale comparative : s’assurer que la nouvelle solution est meilleure que l’ancienne, sans effet rebond ni transfert d’impact ;

6) Communication / Information


Quelles sont les perspectives de développement de l’éco-conception ?

S.M. : Tous les secteurs sont potentiellement concernés par l’éco-conception, avec des niveaux de maturité différents. En 2021, le textile, le cosmétique et la grande distribution transforment leurs processus de production et de sélection de produits pour intégrer des critères environnementaux. Trois leviers participent au développement de ces démarches :

— La recherche proactive de solutions environnementales responsables par les acteurs économiques pour répondre aux attentes des clients, en B2B ou en B2C ;
— L’évolution de la réglementation : notamment avec la loi AGEC (1) qui renforce
la Responsabilité Élargie des Producteurs (2) à la prévention des déchets, aussi bien lors de la conception des produits que lors de l’affichage environnemental ;
— L’existence de financements publics : avec le pack éco-conception de l’État et de l’ADEME pour aider et soutenir les entreprises dans la R&D, la mise en œuvre et l’investissement.

Au niveau européen, la révision de la directive Éco-design laisse aussi prévoir un renforcement des mesures concernant la réduction des déchets à la source et le prolongement de la durée de vie des produits pour de nombreux biens.


Quels sont les bénéfices économiques de l’éco-conception ?

S.M. : Le Pôle Éco-conception a réalisé une étude auprès de 120 entreprises en 2013 sur les retours économiques d'une démarche d'éco-conception pour démontrer sa rentabilité.

L’étude a montré que plus la taille de l’entreprise est petite, plus ses chances de rentabiliser ses activités d’éco-conception sont élevées. On observe différents types de gains. L’éco-conception optimise l’utilisation des ressources pour faire mieux avec moins. Par ailleurs, l’intégration de critères environnementaux dans les produits peut valoriser leurs caractéristiques techniques et augmenter leur valeur. Ainsi, la marge bénéficiaire des produits éco-conçus est supérieure de 12 % en moyenne, comparativement à celle des produits conventionnels.


Notes

 

1. Loi AGEC : LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire

 

2. La responsabilité élargie du producteur « implique que les acteurs économiques (fabricants, distributeurs, importateurs) sont responsables de l’ensemble du cycle de vie des produits qu’ils mettent sur le marché, de leur éco-conception jusqu’à leur fin de vie ». Source : ADEME

>Site du Pôle Eco-Conception


Témoignage de Frédéric Cadet et Bruno Lefebvre, membres de Designers +

Designers+ est une association créée à Saint-Étienne en 2007 regroupant des professionnels du design et métiers associés. L’objectif de Designers+ est de faire appréhender aux entreprises, à partir d'exemples concrets, la plus-value d’une démarche design. Deux designers membres, Frédéric Cadet de l’agence Éco-design et Bruno Lefebvre de C+B Lefebvre reviennent sur les synergies développées entre design et éco-conception dans les démarches d’aménagement.

Les designers se sont intéressés à l’éco-conception dès la naissance du concept. Quelles sont les synergies qui existent entre design et éco-conception ?

F.C. et B.L. : Le métier de designer se conscientise via l’éco-conception. Cela rejoint la raison d’être du design de prendre en compte l’usage réel des biens conçus en se basant sur des signaux faibles (3) et différents scénarios d’utilisation. Ainsi, le design s’interroge sur les manières d’avoir un impact sur les comportements des utilisateurs. Le designer ouvre le champ des scénarios en partant de l’usager. Il confronte les solutions potentielles à la réalité pour favoriser leur appropriation et leur opérationnalité.

Cela passe notamment par la réalisation de tests de mise en œuvre pour comprendre quelle est l’option la plus pertinente à privilégier. L’éco-conception offre une méthode et des outils pour prendre en compte l’impact des solutions proposées à partir de leurs caractéristiques environnementales. Par exemple, la comparaison des cycles de vie de plusieurs scénarios fournit un élément d’aide à la décision. Là où les contraintes techniques s’imposent, le  design de l’offre permet d’intégrer l’éco-conception de manière créative.

 


Quelles sont les perspectives de développement de la prise en compte de l’usage et de l’éco-conception dans les projets d’aménagement ?

F.C. et B.L. : Aujourd’hui, il existe deux manières de prendre en compte l’usage et l’éco-conception dans les projets d’aménagement :

— En améliorant l’aménagement du bâtiment à la conception. Un des principaux champs à traiter concerne les consommations énergétiques (récupération d’énergie, système de ventilation, gestion des flux, limitation des surconsommations…).
— En travaillant sur les usages de l’équipement. Dans ce cadre, le designer adopte une vision prospective pour anticiper l’évolution des besoins du client et de renouvellement du lieu. L’agencement et le mobilier doivent pouvoir s’adapter à des usages qui n’existent pas encore, notamment grâce à la modularité. Une salle de classe peut ainsi être conçue pour différents usages, afin d’augmenter sa durabilité : un cours, des examens, une projection… 


Là où les contraintes techniques s’imposent, le design de l’offre permet d’intégrer l’éco-conception de manière créative

 

Quels sont les bénéfices tirés par les usagers et par les aménageurs ?

F.C. et B.L. : Différents bénéfices sont observés : — Amélioration du bilan environnemental global de l’aménageur ;

— Mobilisation des équipes internes en faveur d’un projet durable dans le cadre de la RSE ;
— Capacité à infléchir le comportement des usagers à travers des solutions séduisantes ;
— Prise en compte de l’usage réel pour assurer la pertinence de la solution.


Quels sont les freins qui restent à lever pour la prise en compte systématique de l'usage et du design dans la conception d'un projet/d’une démarche ?

F.C. et B.L. : L’innovation semble un risque à prendre alors qu’une organisation figée n’est pas pérenne. Le manque de retour d’expérience freine les entreprises. Ces démarches peuvent également prendre plus de temps car il est nécessaire d’arbitrer entre les attentes des usagers finaux et l’exigence environnementale. Un des leviers pour le déploiement de l’écoconception se trouve dans la diffusion des cas exemplaires auprès des entreprises. Une autre difficulté concerne la mesure du changement de comportement générée par une démarche d’éco-conception chez l’usager.

La réponse apportée par le design doit être expérimentée pour valider la pertinence des scénarios. Il s’agit de comprendre les facteurs de changement et savoir sur quels leviers agir pour modifier les solutions proposées et améliorer la performance d’usage. La mesure de la pertinence de la solution doit également passer par une analyse comparative du cycle de vie, avant et après intervention. Cela nécessite d’associer le designer sur le long cours dans les projets d’écoconception, à travers des réunions de suivi avec le commanditaire. Enfin, il est possible de s’appuyer sur des labels ambitieux (4) et des normes ISO pour certifier la démarche et mener à bien une communication environnementale.


Notes

 

3. Les signaux faibles sont les éléments de perception de l'environnement, opportunités ou menaces, qui doivent faire l'objet d'une écoute anticipative, appelée veille, dans le but de participer à l'élaboration de choix prospectifs en vue d'établir une stratégie et de réduire l'incertitude

 

4. . Un guide des labels éco-responsables est disponible et régulièrement actualisé sur : www.mescoursespourlaplanete.com/Labels/

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> Site de l'agence Eco-Design

Site de l’agence C+B LEFEBVRE 


Crédit photo : PIXABAY


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°21 / Février 2022

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