[Regards croisés] En quoi l’économie circulaire est-elle source d’innovation ?

[Regards croisés] En quoi l’économie circulaire  est-elle source d’innovation ?

Quelles sont les mutations induites par le passage à l’économie circulaire ?

En quoi  sont-elles un vecteur de différenciation pour les entreprises ?

Quels changements génèrent-elles au sein des politiques publiques ? 

Eric Fournier et Bernard Delmas nous apportent quelques éclairages.


TÉMOIGNAGE D’ÉRIC FOURNIER, VICE-PRÉSIDENT DÉLÉGUÉ À L’ENVIRONNEMENT,  AU DÉVELOPPEMENT DURABLE, À L’ÉNERGIE ET AUX PARCS NATURELS RÉGIONAUX  DE LA RÉGION AUVERGNE-RHÔNE-ALPES

En quoi l’économie circulaire est-elle porteuse de nouvelles activités ?

L’économie circulaire est un changement de modèle dont la transition nécessite une mutation économique forte. De ce fait, elle est porteuse d’activités émergentes. La Région Auvergne-Rhône-Alpes doit être en mesure d’identifier et d’anticiper ces mutations et les changements de métiers inhérents.

Ce qui n’est pas sans conséquence sur les politiques publiques régionales. La formation, dont la compétence est régionale, est un puissant levier pour accompagner ce changement. D’autres outils d’intervention adaptés doivent également être mobilisés.

D’autre part, l’économie circulaire impacte de façon non négligeable le territoire car elle incite à plus d’ancrage territorial et en propose une relecture. Elle encourage également une solide interaction entre les nouvelles activités et le numérique à travers la mise en œuvre de l’économie de la fonctionnalité, de plateformes d’échanges, etc.

La recherche d’allongement de la durée de vie des produits stimule la création de nouvelles filières autour du réemploi, du recyclage et de la réparation.

Les évolutions comportementales des consommateurs ne sont pas négligeables, elles impulsent l’émergence d’activités plus « circulaires ». Elles sont des signaux forts de cette mutation.

Quels effets de l’économie circulaire sur l’innovation ?

L’innovation générée par l’économie circulaire n’est pas seulement technologique. Elle est avant tout transversale, elle oblige à conduire une réflexion organisationnelle décloisonnée, à travers le process pour l’entreprise, à travers les politiques publiques pour les collectivités territoriales.

Les collectivités territoriales, et en l’occurrence la Région, doivent développer une capacité d’analyse globale et systémique du processus, en s’appuyant sur l’intégration des externalités et sur une analyse multicritère et transversale. Cela implique une véritable révolution des esprits ! On en parle depuis longtemps, mais aujourd’hui, il y a urgence.

La Région est convaincue de l’importance d’investir dans la recherche et développement sur le champ de l’économie circulaire. Le plan régional d’action d’économie circulaire (PRAEC)1, en cours d’élaboration, a pour ambition d’intervenir fortement dans ce sens auprès des filières et des territoires.

Quelles sont les principales orientations du PRAEC ?

Le PRAEC a deux priorités :

  • Intégrer une dimension nouvelle à la valorisation des déchets
  • Décliner les orientations nationales de l’économie circulaire en considérant les spécificités régionales.

Une quinzaine d’orientations sont pré-identifiées à ce jour à travers les thématiques telles que le plastique, le BTP, la chimie, la formation et la sensibilisation à l’économie circulaire, l’intégration des matières premières secondaires dans les chaînes de production, une nouvelle approche de l’environnement et de l’innovation environnementale dans les dispositifs, l’articulation entre les filières et les territoires, etc.

Quels bénéfices et avantages sociaux, économiques, environnementaux, sociétaux peuvent apporter les projets d’économie circulaire ?

Identifier les bénéfices et avantages d’une « solution circulaire » peut conduire à un exercice de comparaison qui peut s’avérer parfois délicat. Analyser l’impact d’une activité dite plus circulaire par rapport à une autre requiert un travail important autour de l’évaluation. La question de la valeur portée aux externalités et de leur monétarisation nécessite d’être considérée.

Des critères peuvent être posés autour de l’emploi et de l’économie en vue de repérer les activités nouvelles, celles en conversion et celles en voie de cessation, du fait des mutations évoquées précédemment. Tout cela conduit à de nouveaux modèles d’analyse. L’évaluation des politiques publiques au regard de l’économie circulaire est centrale.

1. Le PRAEC est intégré au Plan Régional de Prévention et de Gestion des Déchets, (PRPGD)




TÉMOIGNAGE DE BERNARD DELMAS, DIRECTEUR DE RECHERCHE  EN CHARGE DE LA PERFORMANCE DE LA DURÉE (GROUPE MICHELIN)

Maximiser la durée de vie des pneus a toujours été au cœur du business model du groupe Michelin. Centrée sur la qualité du produit et sur la performance technologique, sa démarche d’innovation tend de plus en plus à considérer le consommateur, sa relation avec le produit et son mode d’usage. Dans les années 1990, la consommation énergétique et l’émission de CO2 induites par la conception et l’usage du pneu font partie intégrante de sa performance. Le grading de la performance bruit, résistance au roulement et freinage sur sol mouillé des pneus (état neuf), a été introduit en Europe en 2012.

Maximiser la durée de vie des pneus pour les véhicules professionnels...

Michelin Solutions destiné aux poids lourds, flottes de véhicules légers et génie civil ne vend plus « du pneu » mais des services prenant en charge l’installation, l’entretien ou le remplacement, proposant l’externalisation du poste pneumatique pour l’ensemble de la flotte, fournissant des conseils en matière de réduction de consommation en carburant en lien avec l’usage du pneu, etc. La facturation est basée sur le nombre de kilomètres parcourus et non plus sur le nombre de pneus vendus. Cette solution s’inscrit dans l’économie de la fonctionnalité. La relation client-fournisseur est basée sur une contractualisation dans le temps et sur une responsabilité de l’entreprise vis-à-vis du produit tout au long de sa vie, puisqu’elle en reste propriétaire. La maximisation de l’usage du pneu est garantie par un suivi systématique.

… Et pour les voitures particulières

La réglementation homogène à l’échelle mondiale fixe à 1,6 mm la profondeur minimale légale de sculpture du pneu. Or, les automobilistes utilisent très rarement les pneus jusqu’à cette limite par souci (injustifié) de sécurité. Ils sont par ailleurs encouragés par certains professionnels à les remplacer prématurément. Selon une étude publiée dans la revue scientifique Tire Science and Technology, la moitié des pneus sont désormais retirés à 3 mm au sein de l’Union Européenne. Partant de ce constat, Michelin a souhaité étudier la performance de ses pneus usés à travers de multiples paramètres de sécurité (freinage, adhérence au sol, tenue de route, etc.). Les tests montrent qu’un pneu usé s’arrête sur une distance plus courte que lorsqu’il est neuf sur route sèche, qu’un pneu usé a une contribution plus faible à la consommation de carburant du véhicule et est moins bruyant que lorsqu’il est neuf. Globalement, contrairement aux idées reçues, les performances d’un pneu usé s’améliorent, hormis l’adhérence sur sol mouillé et enneigé. Toutefois, sur sol mouillé, certains pneus usés sont aussi performants que certains autres neufs. La performance du pneu usé est liée à la qualité de sa conception.

Utiliser des pneus jusqu’à l’usure tolérée représenterait non seulement un gain économique pour le consommateur (cela équivaudrait à acheter deux pneus neufs supplémentaires par véhicule tous les cinq ans) mais aussi des gains écologiques considérables, à savoir une économie de 400 millions de pneus/an et de 35 millions de tonnes de CO2/an à l’échelle mondiale.

Changer de représentation pour lutter contre l’obsolescence programmée

Aujourd’hui, l’enjeu pour Michelin est de changer la représentation de ses clients (distributeurs et utilisateurs) visà-vis du pneu usé. Pour ce faire, le groupe a lancé en 2017 une campagne mondiale de communication et de sensibilisation. Parallèlement, il démarche les pouvoirs publics tels que la Commission Européenne en vue d’introduire dans la réglementation et les homologations les tests de sécurité des pneus usés.

Les solutions ainsi proposées tendent vers un changement profond de mode de consommation. À travers elles, Michelin opte pour la longévité programmée.

 


Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°9 / Janvier 2018

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Bulletin édité par CIRIDD - soutenu par la Région Auvergne - Rhône-Alpes


Crédit illustrations : Fotolia - Michelin

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Rédaction ECLAIRA