[Regards croisés] CIRCLE IT, témoignages d’acteurs ayant participé à son élaboration

[Regards croisés] CIRCLE IT, témoignages d’acteurs ayant participé à son élaboration

Quelles préconisations pour élaborer CIRCLE IT ?

AURÉLIEN BOUTAUD (ABOCO), CONSULTANT ET CHERCHEUR INDÉPENDANT SPÉCIALISÉ DANS LES POLITIQUES DE TRANSITION ÉCOLOGIQUE, A PARTICIPÉ À L’ÉLABORATION DE CIRCLE IT.

En 2005, il a conduit une étude sur l’évaluation des politiques publiques locales en matière de développement durable en France. Il a introduit le terme «OQADD - outils de questionnement et d’analyse en matière de développement durable» pour qualifier les grilles de critères et / ou de questionnements utilisées par des acteurs publics et quelques associations. Ces outils ont beaucoup émergé dans les années 2000 en vue de s’approprier le développement durable et de l’intégrer le mieux possible dans les projets et politiques publiques.

Quels enseignements de votre étude peut-on retenir pour l’élaboration et l’utilisation de CIRCLE IT ?

Une des principales conclusions est que les OQADD étaient utilisés trop tardivement dans le processus décisionnel, au moment où les projets ou politiques publiques ne pouvaient plus être fondamentalement modifiés. Aussi, la question de la période d’application d’un outil de questionnement et d’analyse de projet me semble essentielle. Tout l’intérêt est de pouvoir s’en servir le plus en amont possible, au moment de la définition du projet, ce qui permet alors de l’orienter au maximum dans une perspective de développement durable.

Au moment de l’élaboration de l’outil, la principale difficulté consiste à trouver un juste équilibre entre exhaustivité et simplicité de manipulation. Comment être exhaustif sans pour autant être démobilisateur ? La recherche d’exhaustivité dans les questionnements permet d’interroger plus finement les projets mais l’outil devient alors plus complexe et, au final, il risque d’être peu utilisé. À l’inverse, des outils basés sur une dizaine de questionnements génériques seront utilisés plus facilement et de façon plus systématique, mais l’analyse sera alors plus superficielle, laissant place à des interprétations qui peuvent diverger selon les utilisateurs.

Ce dernier point pose d’ailleurs la question fondamentale de « Qui utilise l’outil ? » Est-ce le porteur de projets seul ? Ou le porteur de projets en lien avec des parties prenantes internes / externes ? Dans ce dernier cas l’outil devient alors un véritable outil d’animation de projet. L’utilisation collective de l’outil est sans doute la plus intéressante car elle permet d’enrichir le projet et de faire émerger des solutions d’amélioration davantage partagées. Cela suppose toutefois que le porteur de projets se soit bien approprié l’outil et ait une certaine capacité d’animation.

Une autre difficulté provient du fait que ces outils se veulent parfois universels et sont par conséquent trop génériques : leurs questionnements peuvent s’avérer peu pertinents pour certains projets ou types, d’utilisateurs. À l’inverse, des outils plus spécifiques (comme par exemple la grille «éco-quartiers»), qui visent des projets ou publics très ciblés, seront plus appropriés dans leurs questionnements… mais leur usage sera moins polyvalent.

Enfin, pour faciliter et encourager son utilisation, une attention toute particulière doit être portée à l’ergonomie de l’outil. Un outil numérique agréable à utiliser sera évidemment plus attractif. Le rendu graphique (sous forme de radar par exemple) est également très important car il est l’aboutissement visuel de la réflexion. Il faut également être très clair et sincère, dès le départ dans le mode d’emploi, sur le temps d’utilisation de l’outil. Même si l’utilisation s’avère plutôt longue, le fait de l’annoncer permet de préparer le porteur de projet et la façon dont il va animer l’outil.

Tous les enseignements énumérés cidessus sont évidemment transposables à la conception de CIRCLE IT, car ce dernier est finalement une sorte d’Outil de Questionnement et d’Analyse en matière d’Économie Circulaire.

Quelle particularité pour l’élaboration de CIRCLE IT ?

La particularité est évidemment liée à l’objet étudié : ici, l’économie circulaire. Comme pour le développement durable au début des années 2000, l’économie circulaire est un concept encore non stabilisé à ce jour et il n’est pas évident d’en cerner l’objet. Quel périmètre de l’économie circulaire considérer ? Doit-on se concentrer sur la seule circularité matérielle ? Ouvrir le questionnement à des enjeux de développement durable est apparu incontournable pour le groupe de travail.

Qu’est-ce qui vous a paru intéressant dans la phase d’élaboration de CIRCLE IT ? Quel(s) point(s) serai(en)t à améliorer ?

Le fait d’avoir procédé par étape, de chercher à s’appuyer sur des enseignements d’outils ayant une même finalité, de co-construire et de passer par des phases de test me paraissent des démarches appropriées pour l’élaboration d’un tel outil. En revanche, les acteurs de terrain n’ont pas été associés, ils étaient plutôt représentés. Il serait intéressant de suivre l’utilisation de l’outil une fois qu’il sera mis à disposition des porteurs de projets et envisager une évolution, voire une nouvelle version dans quelques mois, une fois que les retours de terrains seront opérés.

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CONTRIBUTION DU POLE DE COMPÉTITIVITÉ TECHTERA A LA CONSTRUCTION DE CIRCLE IT

Des enjeux de ressources et de proximité : quels questionnements pour des entreprises ou des filières ?

TECHTERA a créé le club RECIT : Recyclage et Economie Circulaire dans l’Industrie Textile. Il vise à identifier et développer des solutions de valorisation des déchets textiles industriels. Au travers de la démarche collective de ses membres (industriels, centres techniques, designers…), il vise à favoriser l’émergence d’initiatives collaboratives contribuant à la structuration d’une filière de valorisation à fort ancrage territorial.

Clara Potton de TECHTERA a participé au groupe de travail de CIRCLE IT. Elle a fait écho des préoccupations du club RECIT. Elle a joué également le rôle de porte-parole «entreprises et filières».

Quels points vous ont semblé importants de prendre en compte lors de la conception de CIRCLE IT ?

Sur le fond, appliquer l’outil aux différents stades d’avancement du projet est primordial pour s’inscrire dans une démarche «chemin faisant» et d’appropriation. CIRCLE IT permet de faire un état «zéro» de la situation et de positionner le projet selon les différents critères définis dans l’outil. Il permet d’identifier les critères prioritaires en définissant la marge d’amélioration visée. L’objet n’est pas d’atteindre la perfection sur l’ensemble des critères mais d’assurer leur prise en compte, et de rassurer les porteurs de projets quant à la légitimité de leur démarche.

À une étape plus avancée du projet, en examinant de nouveau ces critères, l’entreprise peut décider de prioriser un axe davantage, voire même se rendre compte que le projet a eu des effets indirects bénéfiques auxquels elle ne s’attendait pas et qu’elle peut maintenant formaliser. À la fin du projet, l’outil permet de faire un bilan et d’en dégager des enseignements pour des initiatives futures. Il est incontournable d’observer l’usage de l’outil dans le temps pour le faire évoluer et l’adapter au mieux en fonction des besoins des utilisateurs.

Sur la forme, l’ergonomie de l’outil est essentielle, il doit être facile d’utilisation. L’outil s’adressant à des acteurs avec des niveaux de connaissance de l’économie circulaire variés, la formulation de la question est à mon sens, un point de vigilance important. De la bonne compréhension de la question, découle la pertinence de l’analyse par l’outil. C’est sur cet aspect que j’ai souhaité axer les tests de l’outil.

En quoi CIRCLE IT peutil intéresser un réseau d’entreprises tel que TECHTERA ?

L’un des points forts de l’outil, est d’appréhender la démarche d’économie circulaire dans sa globalité. Il sera très utile pour une structure telle que TECHTERA dans l’accompagnement de ses membres à concevoir des projets dans une perspective d’économie circulaire.

En effet, nous travaillons principalement avec nos membres sur le développement de leurs démarches d’innovations technologiques. Or, les actions du club RECIT ne se structurent pas uniquement à travers des paramètres technologiques ; les enjeux sociaux, environnementaux, sociétaux et leur évolution doivent être considérés.

Comment comptez-vous utiliser CIRCLE IT ?

Je souhaite en faire un véritable outil d’animation à l’intention du club RECIT. Il sera un support à la démarche de structuration de filière initiée par le club ; ainsi qu’aux différentes initiatives en découlant : dans le cadre de groupes de travail autour de recherches technologiques, ou de la démarche d’Upcycling.

Il sera utilisé au fur et à mesure de l’avancée des travaux, et ce dans le cadre de réflexions collectives. Il devrait permettre une prise de recul et un questionnement global sur la démarche initiée dans le cadre de chaque groupe de travail, en la positionnant dans son écosystème. Nous pourrons ainsi envisager un accompagnement complémentaire afin d’approfondir un critère et de le décliner en solutions. Par exemple, sur certains aspects sociaux, l’ARACT pourrait être sollicitée.

Les critères deviendront des réflexes de questionnement collectifs puis individuels. L’ambition serait que l’entreprise puisse s’approprier l’outil à terme et l’utiliser en autonomie au sein de sa structure.

En cas d’emploi autonome de l’outil par vos membres, quel serait, à votre avis, leur mode d’utilisation ?

Les structures de taille conséquente ayant l’habitude de démarches collectives en interne pourront utiliser CIRCLE IT comme outil d’animation dans le cadre de leurs actions d’économie circulaire. Dans les structures de plus petite taille, son application sera certainement plus individuelle par le biais des chefs de projets ou des chefs d’entreprises notamment.

Cet outil doit rester ouvert à tout type d’acteurs.


QUELS CRITÈRES SOCIAUX PRENDRE EN COMPTE DANS CIRCLE IT ?

Isabelle Fieux de l’ARACT Auvergne-Rhône-Alpes a aidé le groupe de travail de CIRCLE IT à examiner quelles valeurs ajoutées sociales considérer dans un projet d’économie circulaire et pourquoi.

L’ARACT observe comment les PME et TPE inscrivent le facteur humain dans leur projet d’entreprise et les incite à l’intégrer davantage en les accompagnant à titre expérimental et à visée d’essaimage. Elle cherche à faire intégrer dans les projets d’entreprise des critères portant sur la qualité des conditions de travail, sur l’évolution professionnelle des salariés et sur la qualité et la robustesse de l’emploi. Pour ce faire, l’ARACT veille à l’implication simultanée des salariés et des dirigeants et à l’animation de cette coopération. Elle cherche à allier des critères de fond et de méthode.

Pour l’ARACT, l’économie circulaire est un vecteur d’évolution des pratiques en matière d’innovation sociale. En effet, elle accélère la relation de l’entreprise à son territoire car celle-ci va se mettre en lien avec son environnement immédiat pour déployer son projet. Elle va identifier comment le territoire peut être une ressource pour mettre en place ses valeurs et enrichir son projet d’entreprise. L’économie circulaire donne du sens à l’action des salariés et contribue à leur motivation car elle touche des valeurs d’engagement, la qualité de vie au travail, et parfois l’évolution des compétences. Elle conduit à faire des passerelles entre entreprises et structures d’insertion par l’activité économique.

Par exemple, dans le cadre d’un partenariat, l’entreprise Mondial Tissus fournit des tissus à l’association Tremplin vers l’Emploi, ayant notamment pour activité la collecte et la valorisation de textiles et produits divers. Cette première coopération a invité l’entreprise à confier à l’association la confection de l’habillement des mannequins. Ceux-ci sont placés dans les boutiques de Mondial Tissus et exposent les nouvelles collections deux fois par an. Cette initiative a eu plusieurs effets sociaux positifs : le développement de nouvelles compétences au sein de Tremplin, le changement de représentation vis-à-vis d’un public fragilisé pour les salariés de Mondial Tissus, des échanges de pratiques professionnelles sur le plan technique (activités de couture et mode de livraison pour Tremplin) et sur le plan managérial (par exemple, sur la compétence d’accompagnement des personnes fragilisées pour Mondial Tissus). Regarder les aspects sociaux n’altère pas la performance de l’entreprise. Au contraire, cela la bonifie.

L’économie circulaire étant catalyseur de relations partenariales, elle invite les salariés, y compris les plus fragilisés, à représenter leur entreprise, donner une bonne image, savoir parler de l’ensemble de l’entreprise, etc.

Dans CIRCLE IT, un critère sur l’innovation sociale et managériale a été introduit et il pose la question des nouvelles pratiques professionnalisantes et apprenantes. Qu’entendez-vous par là ? Pourquoi CIRCLE IT a-t-il intérêt à considérer ce type de critères ?

L’économie circulaire étant une approche globalisante et systémique, il paraît incontournable de susciter de nouvelles pratiques professionnalisantes et apprenantes. Elles se traduisent le plus souvent par le décloisonnement des services et des structures impliquées, des logiques encore plus participatives, l’accompagnement de salariés à plus d’autonomie, l’appropriation du sens, l’apprentissage à être en relation avec des partenaires externes, la mise en œuvre de groupes d’expérimentation, etc.

Revenons à l’exemple du partenariat Mondial Tissus et de l’association Tremplin. Le fait de collaborer avec un partenaire extérieur incite, dans l’association, à une organisation du travail plus adaptée aux exigences de l’entreprise. Travailler avec des personnes fragilisées a encouragé à détailler et formaliser davantage le passage des commandes. Utile à tous, cette évolution a permis de gagner en efficacité mais avec une manière plus ‘’humanisée’’. L’appropriation du sens a motivé les différents services de l’entreprise.

Que doit permettre in fine CIRCLE IT ?

Cet outil doit être un moyen d’enrichir un projet d’entreprise dans une perspective d’économie circulaire tout en considérant les aspects sociaux et la mobilisation des parties prenantes concernées. Il doit interpeller l’entreprise sur comment mailler sa performance, la qualité de vie au travail et les besoins sociaux du territoire. Il facilitera nécessairement le travail interentreprises.

1_Association Régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail -https://auvergnerhonealpes.aract.fr/laract

 

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Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°10 / Mars 2018

Bulletin édité par CIRIDD - soutenu par la Région Auvergne-Rhône-Alpes


Crédit illustrations : Fotolia - CIRIDD - TECHTERA

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Auteur de la page

Rédaction ECLAIRA