[REGARDS CROISÉS] Accompagner la mise en action des entreprises en faveur de la biodiversité

[REGARDS CROISÉS] Accompagner la mise en action des entreprises en faveur de la biodiversité

Témoignage de Pierre Mossant, Directeur du Conservatoire d'Espaces Naturels d’Auvergne.

Les conservatoires d'espaces naturels (CEN) sont présents sur l’ensemble du territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes au niveau départemental ou interdépartemental et ont pour objet de participer à la préservation et à la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Comment définissez-vous la biodiversité et quelles sont les causes de son érosion ?

P.M. : La biodiversité était initialement réduite à la diversité des espèces vivantes. Il y a quelques années, les scientifiques ont élargi ce concept à 3 niveaux : diversité des espèces, diversité génétique à l’intérieur de chacune de ces espèces et diversité des milieux naturels dans le paysage. La biodiversité intègre également maintenant l’ensemble des interactions qui existent entre les espèces. Tous les grands cycles biogéochimiques (eau, azote, carbone, etc.) sont liés aux écosystèmes et aux interactions entre les espèces : c’est pourquoi les milieux dans lesquels ces espèces sont présentes doivent rester fonctionnels pour que ces interactions perdurent. Cela interroge notre capacité à nous réconcilier avec le vivant, à préserver et à restaurer le fonctionnement de ces écosystèmes pour tendre vers un maximum de résilience et ainsi avoir la capacité d’absorber les chocs climatiques à venir. Concernant les causes majeures de l’érosion de la biodiversité, l’IPBES* identifie :

  • Les changements d’usages des espaces (urbanisation, évolution agricole...) et leur fragmentation (autoroutes et voies ferrées) qui créent de multiples petits écosystèmes isolés beaucoup plus fragiles ;

  • L’utilisation abusive de polluants domestiques, agricoles et industriels ;

  • La surexploitation des ressources et des espèces ;

  • Le développement des espèces exotiques envahissantes ;

  • Le changement climatique.

"Les co-bénéfices entre lutte contre le changement climatique et protection de la biodiversité doivent être construits à l’échelle des territoires"

Quel est le rôle des entreprises face à cette érosion ?

P.M. : En tant qu’acteurs économiques sur les territoires, les entreprises ont un rôle clé et un intérêt à agir. Elles rencontrent souvent des difficultés à identifier leurs liens avec la biodiversité.  Les entreprises ayant un lien direct avec la biodiversité, par exemple les entreprises biosourcées, s’interrogent généralement rapidement sur la pérennité des ressources naturelles qu’elles utilisent et sur l’impact de leurs activités. Pour celles qui n’ont pas de lien direct, il faut examiner les interactions positives ou négatives au sein de leur chaîne de valeur : comment les entreprises, leurs fournisseurs ou leurs clients se positionnent dans leur choix de matière/matériaux, de transport, d’énergie, et dans les impacts sur la biodiversité ? Dans les deux cas, cela nécessite une compréhension des enjeux liés à la biodiversité et les causes de son érosion, mais aussi une analyse approfondie de l’impact de leurs activités et de leurs parties prenantes, en lien avec le potentiel de leur territoire.

Comment les CEN peuvent aider les entreprises dans cette appropriation ?

P.M. : Les CEN peuvent accompagner les entreprises sur l’ensemble des territoires et selon différentes approches :

  • Une expertise pour intégrer les enjeux de biodiversité dans la gestion et l’entretien du foncier des entreprises, notamment en cas de proximité avec des espaces naturels remarquables.
  • Une approche plus globale pour la réalisation de diagnostics permettant de favoriser la prise en compte de la biodiversité ordinaire et construire des plans d’actions en relation avec leurs partenaires territoriaux (autres entreprises, collectivités, etc.).
  • Une sensibilisation des collaborateurs pour favoriser la prise de conscience et créer du lien avec les espaces naturels de proximité, notamment via des activités de type "teambuilding" (chantiers nature, sorties découvertes, etc.).

Quelles sont les perspectives des CEN pour lier entreprises et biodiversité ?

P.M. : Mettre en exergue les co-bénéfices entre lutte contre le changement climatique (stockage carbone, réduction d’émission de gaz à effet de serre) et protection de la biodiversité est essentiel pour permettre de créer des boucles vertueuses pour les entreprises. Cela doit être construit à l’échelle des territoires et en favorisant leur attractivité. Nous souhaitons accompagner les entreprises via des plans d’actions globaux intégrant des diagnostics sur la biodiversité, conseils et adaptations des pratiques et évaluation. Nous sommes convaincus qu’il faut encourager la protection de la biodiversité ordinaire présente sur 70 % du territoire, hors des espaces naturels protégés.



Témoignage de Noé Deschanel, Chargé de mission "Entreprises engagées pour la nature" à l’Observatoire Français de la Biodiversité

Le programme "Entreprises engagées pour la nature" porté par l'OFB a pour ambition d'engager les entreprises en faveur de la biodiversité. Il vise à faire émerger et à valoriser des plans d'actions des entreprises à la préservation et à la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Quels liens faites-vous entre préservation de la biodiversité et économie circulaire ?

N.D. : L’économie circulaire est un moyen de réduire les facteurs d’érosion notamment sur l’exploitation des ressources en travaillant la gestion des "déchets" et la revalorisation de matières. Une matière retraitée n’a pas à être prélevée donc ce sont des enjeux totalement liés.

Où en sommes-nous de l’érosion de la biodiversité et quel est le rôle des entreprises face à celle-ci ?

N.D. : Aujourd’hui, il s’agit même d’effondrement. La disparition de plus d’un million d’espèces a pour cause unique : l’être humain et le actions anthropiques. Le rôle des entreprises est majeur ! N’importe quelle entreprise est un acteur dépendant de la biodiversité. Cette prise de conscience est nécessaire car elles ont une responsabilité envers la biodiversité qui se traduit à plusieurs niveaux :

  • Régulation (eau et air de bonne qualité) ;
  • Approvisionnement (raréfaction des ressources) ;
  • Culturel (valorisation du lien à la nature par les entreprises).

"N’importe quelle entreprise est un acteur dépendant de la biodiversité"

Quels outils et solutions apportent l’OFB ?

N.D. : L’OFB développe le programme "Entreprises engagées pour la nature*" pour accompagner les entreprises à réduire leurs impacts sur la biodiversité. Ces entreprises font ensuite partie du "Club des engagés" et partagent leurs retours d’expériences. La première étape est de comprendre les enjeux et les impacts pour chaque entreprise au cas par cas. L’OFB apporte ensuite un accompagnement collectif pour travailler sur ces impacts et fait des recommandations au bout de deux ans sur les plans d’actions. Il travaille aussi avec différentes fédérations pour co-produire des guides par filière. Les entreprises peuvent se faire aider en s’appuyant sur les agences régionales de la biodiversité (au niveau national) et/ou les structures privées (bureau d’études et de conseil) pour mettre en place des plans d’actions. Malgré toutes ces avancées, les financements restent encore rares. Les exemples d’actions sont nombreux : POCHECO a réalisé la réfection totale de son site et sa végétalisation, réduit ses consommations d’eau et d’énergie, travaillé à son approvisionnement durable et développé une activité de sensibilisation à la biodiversité auprès de ses salariés et d’autres entreprises. RTE France, qui doit déboiser certaines zones pour le développement d’infrastructures civiles, a mis en place des concertations avec les structures et citoyens locaux pour la régénération de la biodiversité.

Les entreprises se dirigent-elles plutôt vers la revalorisation de la biodiversité ordinaire sur site ou repensent-elles leur impact sur toute leur chaîne de valeur ?

N.D. : Les entreprises travaillent pour l’instant davantage sur la biodiversité locale de leur territoire mais l’OFB les pousse à prendre en compte toute la chaîne de valeur. Cependant, toute action est à valoriser et le rôle de l’OFB est de les accompagner, dans une démarche d’amélioration continue, vers une réduction globale de leurs impacts. Une stratégie nationale pour la biodiversité** a été développée dans ce sens.



Source : ECLAIRA - Le Bulletin N°25 / Avril 2023

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Arthur Bonglet

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