[Entretien Bernard Gay - SABRA, Etat de Genève] « L’objectif cantonal est d’atteindre 40% de véhicules électriques en 2030 à Genève ».

[Entretien Bernard Gay - SABRA, Etat de Genève] « L’objectif cantonal est d’atteindre 40% de véhicules électriques en 2030 à Genève ».

 

Pas d’émissions de CO2 directe ni de bruit : les voitures et motos électriques contribuent à la protection du climat et à la qualité de vie. Le point avec Bernard Gay, du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (SABRA, rattaché à l’Office cantonal de l’environnement, département du territoire), le « Monsieur électromobilité » du canton, qui détaille la stratégie, les installations de recharge, les aides possibles ou encore la question des batteries.

-Dans le cadre de sa stratégie pour la protection de l’air et de sa « Stratégie de l’électromobilité 2030 », le Canton de Genève s’était fixé en 2017 comme objectif que 10% des véhicules immatriculés (soit 23'000) à Genève à l’horizon 2030 soient à propulsion électrique. Où en sommes-nous maintenant ?

-Bernard Gay. Aujourd’hui, il y a à Genève quelque 3200 véhicules avec prises dont 1600 véhicules électriques purs, autrement dit alimentés uniquement par des batteries rechargeables (à l’arrêt sur une borne ou prise fixe) et environ la même quantité d’hybrides rechargeables (des voitures propulsées par un moteur thermique utilisé pour les longs trajets et un moteur électrique alimenté par des batteries de plus faible capacité et d’une autonomie généralement inférieure à 80 km ). Je tiens toutefois à préciser que depuis la « Stratégie de l’électromobilité 2030 » approuvée par le Conseil d’Etat en juin 2017, il y a eu un premier plan climat cantonal, puis un second sorti ce printemps dont les objectifs en termes d’électromobilité ont été nettement revus à la hausse. Quand je parle d’électromobilité, j’englobe les voitures, les motos et les scooters électriques, mais pas les vélos, ni les camions qui tous deux relèvent d’autres politiques publiques.

-En effet, le Plan climat cantonal 2030 2e génération vise une diminution de 60% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et la neutralité carbone au plus tard en 2050. Comment se traduit-il en termes d’électromobilité ?

-B.G. De nombreuses mesures figurent dans ce plan et concernent tous les secteurs d’activité, dont la mobilité, afin d’évoluer vers une société décarbonée. Le chapitre de la mobilité se décompose lui-même en plusieurs plans d’actions sectoriels (en particulier mobilité douce, transports collectifs ou encore marchandises et logistiques urbaines). En termes d’électromobilité, il y a la volonté d’atteindre 40% de véhicules électriques dans le parc automobile genevois à l’horizon 2030 et 100% à l’horizon 2050. Mais en parallèle, il y a l’ambition de réduire les kilomètres parcourus en transport individuel motorisé, en diminuant en particulier de 40% ce type de transport d’ici 2030. Donc, on vise environ 56'000 véhicules électriques en 2030.

-Dans la stratégie cantonale, se trouve la mise en place de conditions-cadres favorisant l’électromobilité. La première consiste à encourager le déploiement d’infrastructures de recharge, la seconde à créer des mesures fiscales incitatives. A combien s’élève l’économie fiscale pour une voiture ?

-B.G. Dans la loi sur les contributions publiques figure l’exonération fiscale des véhicules les moins polluants lors de l’année d’immatriculation puis encore pendant deux ans. Une décision du Conseil d’Etat a précisé il y a quelques années que l’électromobilité entre dans ce cadre. Il y a ensuite le mécanisme de bonus/malus lié aux émissions de CO2 (réduction de la fiscalité pour les véhicules les moins polluants, surtaxe pour les plus polluants). Les véhicules électriques étant non émissifs lors de leur utilisation, ils bénéficient du bonus. Si on prend une grosse cylindrée électrique, elle ne paie rien les trois premières années, alors qu’une voiture thermique équivalente paierait plus de 3000 francs par an, puis elle devra s’acquitter de la moitié de la taxe. Pour une petite cylindrée électrique la taxe après trois ans tourne autour des 150 francs.

-Et qu’en est-il pour les aides à l’installation de bornes ?

-B.G. Les privés qui installent des bornes de recharge chez eux bénéficient d’une subvention de maximum 1000 CHF et 50% des frais effectifs. Les milieux immobiliers (régies, promoteurs, etc.) qui dotent leurs immeubles d’habitation et PPE de telles infrastructures peuvent également obtenir l’aide de l’Etat. Nous entretenons aussi des contacts étroits avec les milieux immobiliers pour les inciter à prévoir assez d’installations de recharge dans leurs nouvelles constructions et d’en ajouter dans leurs bâtiments existants, ce qui est techniquement et financièrement plus complexe. Au niveau réglementaire d’ailleurs, il existe certaines exigences. Ainsi le Règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés demande depuis 2015 de prévoir un pré-équipement des parkings souterrains afin de pouvoir amener de l’électricité jusqu’aux places. Une réflexion est actuellement en cours pour adapter ce règlement aux évolutions technologiques.

-On le voit : les incitations concernent les privés ou les milieux immobiliers. Quid des entreprises qui installeraient des bornes de recharge pour leurs employés ?

-B.G. Comme le plan cantonal relatif à la mobilité vise une réduction drastique du nombre de véhicules individuels, il ne serait pas logique de subventionner de telles infrastructures, car cela pourrait pousser les gens à venir travailler en voiture. Cela dit, une entreprise qui en installerait peut la défalquer car il s’agit d’un investissement, ce que ne peut pas faire le particulier.

-Et qu’en est-il d’une entreprise qui voudrait muter sa flotte vers de l’électrique ?

-B.G. L’entreprise bénéficiera des exonérations fiscales pour les véhicules électriques. Afin d'accompagner les employeurs, privés comme publics, dans cette réflexion et la mise en œuvre de plans de mobilité, le département des infrastructures propose une série d'outils et de services dédiés.

-Dans certains pays existent des aides à l’achat de véhicules électriques, ce qui n’est pas le cas chez nous.

-B.G. Jusqu’à présent, Genève n’a pas utilisé l’aide à l’achat, toutefois, les choses pourraient changer, car le Conseil d’Etat a présenté au Grand Conseil un projet de loi qui prévoit une aide financière à l’achat d’un véhicule neuf alimenté exclusivement par une batterie électrique ou par une pile à combustible remplaçant un véhicule avec moteur à combustion immatriculé au nom du même détenteur. Ce système serait financé par l’excédent de recettes lié à une redéfinition des critères du bonus/malus et à leur extension aux véhicules immatriculés avant 2010.

Cette aide concernerait les véhicules privés, mais aussi les utilitaires légers et les poids lourds.

-Revenons à l’augmentation visée de véhicules électriques. Quel impact a-t-elle sur l’infrastructure de recharge sur le territoire public ?

-B.G. D’expérience on sait que minimum 80% de la recharge est effectué à domicile ou sur le lieu de travail, raison pour laquelle l’Etat accompagne les privés et les entreprises immobilières. Il n’empêche que le Canton va intensifier l’installation d'infrastructures de recharge publique car 20% des véhicules immatriculés n’ont pas de place attitrée.

-Concrètement, qu’allez-vous faire en termes d’installation de bornes sur le territoire public ?

-B.G. Nous avons commencé à travailler avec la ville de Lancy, à la demande de cette dernière, et les SIG pour déterminer quel impact aura la progression des véhicules électriques sur l’infrastructure de recharge communale. Nous avons donc débuté un travail de dimensionnement et de positionnement des bornes sur son territoire qui a permis à cette commune de décider comment développer l’implantation de son réseau public de recharge. Une méthodologie a été élaborée, qui pourra être dupliquée dans les autres communes genevoises pour avoir une image directrice cantonale de l’infrastructure de recharge nécessaire (concrètement : combien de bornes et à quel endroit) afin de permettre aux communes de planifier le nombre de bornes et l’échéancier de leur installation. Précisons que les SIG ont la mission de gérer le dimensionnement et l’implémentation de l’infrastructure de recharge, conformément à la convention d’objectif 2020-2024 qu'ils ont signée avec le Conseil d'Etat.

-Combien de bornes se trouvent actuellement sur le territoire genevois ?

-B.G. En 2015, soit avant la mise en place de la stratégie électromobilité, il y en avait 20 dans les parkings de la Fondation des parkings. Aujourd’hui, il y a plus de 370 points de recharge accessibles 24/24 par le public. Deux sont sur le domaine public cantonal (aux rues Dancet et Hoffmann), les autres se trouvent soit sur les territoires communaux, soit dans les espaces gérés par la Fondation des parkings. Cette dernière, ainsi que les SIG, sont nos deux partenaires publics en matière d’électromobilité.

-Parmi ces installations publiques, y a-t-il une carte qui les dénombre et donne leur localisation ?

-B.G. Oui. Au niveau suisse, il y a l’application interactive www.je-recharge-mon-auto.ch. Cette initiative qui fait partie de la Feuille de route pour la mobilité électrique de la Confédération permet de connaître en temps réel les bornes de recharge disponibles. Au niveau européen, on peut citer l’initiative participative Chargemap, qui propose une cartographie pour trouver les bornes de recharge en Europe.

-Les bornes publiques permettent souvent de recharger gratuitement sa batterie. Jusqu’à quand est-ce prévu ?

-B.G. Je me permets de préciser : toutes les bornes ne sont pas gratuites. La Fondation des Parkings a proposé la gratuité à ses clients comme mesure d’incitation pour lancer l’adhésion à l’électromobilité. Mais cette mesure devrait prendre fin bientôt.

Les installations ont vocation à être payantes. L’énergie a un coût et il est normal que l’usager l’assume.

-Les bornes sur le territoire public ne permettent souvent pas de recharger rapidement sa batterie…

-B.G. Il y a deux types de recharge qui correspondent à des usages différents. La recharge lente (jusqu’à 22 KW, en courant alternatif) qui permet de répondre à des besoins quotidiens inférieurs à 50 km et la recharge rapide (supérieur à 22 KW et en courant continu) qui répond à des urgences liées majoritairement à de longs trajets. Les bornes publiques dans le canton doivent appartenir principalement à la première catégorie pour répondre aux besoins des citoyens qui ne peuvent avoir de borne à domicile. Des bornes rapides au-delà de 100 KW sont aussi prévues sur le territoire pour toutes sortes d’usagers et notamment les professionnels (taxi, transporteurs etc.)

Des chargeurs ultra rapides (égaux ou supérieurs à 150 KW) sont installés, à la demande de la Confédération, sur les aires d’autoroute ou de repos afin de permettre des chargements rapides pour des longs trajets.

-Parmi les nombreux avantages de l’électromobilité figure la réduction du bruit. Arrive-t-on à quantifier cette diminution ?

-B.G. C’est très difficile de quantifier cette diminution, mais en milieu urbain, il y a une vraie réduction de bruit. En effet, à moins de 30km/h, c’est le moteur qui est source de bruit, or les véhicules électriques n’en font pas. Quant aux démarrages des motos électriques, ils sont silencieux. Dès lors, on constate que les véhicules électriques apportent une importante amélioration de la qualité de vie des habitants, tout particulièrement dans le contexte citadin qui caractérise Genève.

-Une technologie prometteuse est celle de la propulsion à hydrogène. Comment s’articule la stratégie d’électromobilité par rapport à l’hydrogène ?

-B.G. La mobilité hydrogène est incluse dans l’électromobilité, car elle fonctionne avec une pile à combustible qui alimente le moteur électrique. Permettant de faire le plein aussi vite qu’avec de l’essence ou du diesel, cette technologie revêt beaucoup de sens pour les véhicules grand routier (camions de marchandise, cars, mobilité nautique, pour laquelle il y a d’ailleurs une réflexion au niveau du Léman). Elle n’est toutefois pas encore passée au stade de l’usage de masse et nécessitera encore de nombreux développements en vue d’atteindre une production d’hydrogène efficiente d’un point de vue énergétique.

L’un des problèmes des véhicules électriques est dû à leur autonomie limitée. Quelles perspectives pour le futur ?

-B.G. L’efficacité des batteries est en constante augmentation. Leur densité énergétique a quasiment doublé en 10 ans et on prévoit qu’elle triple encore d’ici 2035. Ce n’est déjà plus un frein : l’autonomie moyenne des véhicules électriques est passée de 211 km à 338 km en cinq ans.

-On entend souvent dire que les batteries de voitures électriques sont très polluantes. Dès lors, est-ce vraiment mieux pour l’environnement de rouler avec un véhicule électrique ?

-B.G. Il faut analyser l’intégralité de l’impact et considérer le cycle de vie entier de la voiture. Avant d’effectuer son premier kilomètre, l’impact CO2 d’un véhicule électrique est (sur la base du mix électrique Suisse) certes le double de celui d’une voiture thermique. Les émissions de gaz à effet de serre sont toutefois compensées après 30'000 à 50’000 kilomètres environ grâce à des émissions beaucoup plus faibles pendant l’utilisation des véhicules. De plus, de tels véhicules n’émettent pas de polluants dangereux pour la santé comme les oxydes d’azote. En outre, à Genève, la totalité de notre électricité provient d’énergies renouvelables. A 150'000 kilomètres, l’impact d’une voiture électrique est deux fois moins important qu’un modèle équivalent thermique.

Cela dit, comme évoqué précédemment, nous sommes dans une phase de transition. Il faut certes passer à l’électromobilité, mais aussi diminuer le trafic individuel motorisé.

Pour en savoir plus sur l'électromobilité dans le canton de Genève, consultez le dossier thématique sur le site internet de l'Etat de Genève en cliquant ici

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 25.10.2021).

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